Cet été, j’ai eu l’opportunité d’explorer des récits autochtones faisant partie des suggestions des libraires dans le cadre du programme « Je lis autochtone ! ». J’ai eu le plaisir de découvrir les nouveautés de la collection « Solstice » des Éditions Hannenorak : Un carnet oublié de Virginia Pésémapeo Bordeleau ainsi que L’homme aux deux visages d’Isabelle Picard. L’initiative « Je lis autochtone ! » est un projet de la librairie Hannenorak qui vise à promouvoir le talent des auteur·ice·s des Premières Nations au Canada qui sont publié·e·s en français. Plusieurs librairies indépendantes de Montréal participent annuellement à cette initiative et recommandent leurs publications autochtones et francophones préférées tout au long du mois de juin.
Les deux courts récits, entre 30 et 50 pages, abordent chacun des thématiques très différentes les unes des autres. Un carnet oublié nous fait voyager dans le temps et l’espace pour explorer les rues de Venise et de Paris à travers les souvenirs de Kokum consignés dans un ancien carnet de voyage. Elle se remémore la relation complexe qu’elle entretenait avec son amant de l’époque ainsi que ses autres aventures d’un soir avec divers hommes séduisants qu’elle rencontre au fil de son périple à travers le monde. Kokum, qui signifie « grand-mère » en langue crie, présente un personnage féminin qui profite sans gêne des plaisirs de la chair et des jeux de séduction. Contrairement à ce que pensent souvent les jeunes des nouvelles générations, dont la petite-fille de Kokum, les plus vieux ont eux aussi profité de leur jeunesse!
« Kokum lui a alors montré une ancienne photo d’elle où elle était vêtue d’une robe très courte et à moitié transparente, qui laissait voir ses seins nus. Des bottes hautes lui couvraient les jambes jusqu’au-dessus des genoux. La petite était scandalisée :
- Mamie! C’est toi, ça?
Ah pense-t-elle, les enfants s’imaginent qu’il n’y a rien eu avant leur avènement. [1] »
Cette approche rafraichissante de la figure de la kokum permet de remettre en perspective la manière dont les aînés sont perçus par les plus jeunes et invite à ne pas oublier qu’ils ont vécu une myriade d’expériences au fil des décennies.
D’un autre côté, le texte d’Isabelle Picard aborde plutôt la question du devoir de l’écriture pour les auteur·ice·s d’origine autochtone. Elle met en scène un écrivain dépressif atteint du syndrome de la page blanche ainsi que sa relation avec sa psychologue. Alors qu’il tente de retrouver son inspiration, il est tiraillé par un sentiment de culpabilité à l’idée de ne pas aborder dans son travail des sujets en lien avec les peuples autochtones. Le récit amène les lecteur·ice·s à réfléchir sur la pression sociale que l’écrivain ressent en tant qu’auteur d’origine autochtone et la manière dont cette pression influence, consciemment ou non, tous ses projets artistiques. Est-il obligé d’utiliser sa voix pour raconter les réalités souvent difficiles et le passé sombre des communautés autochtones? Ces sujets très noirs ont un poids mental important sur l’écrivain, étant peut-être même la cause de son syndrome de la page blanche. On suit donc le parcours de l’auteur alors qu’il essaie de trouver un équilibre entre l’obligation perçue d’aborder les thèmes liés aux communautés autochtones et son besoin d’écrire sur des sujets plus gais.
Ces deux textes se lisent très rapidement et sont idéaux pour tous·tes ceux et celles qui veulent s’initier à la littérature autochtone. Ce sont des récits qui nous portent à réfléchir et qui, malgré leur caractère concis, nous amènent à repenser des problématiques du quotidien qui paraissaient jusqu’ici sans prise de tête.
[1] Pésémapéo Bordeleau, Virginia, Un carnet oublié, Montréal, Hannenorak, coll. « Solstice », 2024, p. 16.
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Pésémapéo Bordeleau, Virginia, Un carnet oublié, Montréal, Hannenorak, coll. « Solstice », 2024, 36 p.
Picard, Isabelle, L’homme aux deux visages, Montréal, Hannenorak, coll. « Solstice », 2024, 56 p.
Article rédigé par Éloïse Huppé-Gignac