Pour marquer d’une pierre blanche la 13e édition de son Festival Jamais Lu, sa directrice Marcelle Dubois, a vu très grand. Trop grand, confiera-t-elle d’ailleurs à son public lors de la soirée d’ouverture organisée au Théâtre Aux Écuries ce vendredi 2 mai 2014. À l’instar des rencontres multidisciplinaires du Festival des francophonies en Limousin, son idée achevée est de réunir seize auteurs d’horizons différents autour d’un seul et unique dénominateur, la langue française. Du Burkina Faso aux Antilles en passant par l’Acadie, c’est un voyage autant littéraire que politique qui s’est amorcé rue Chabot.

Crédits photographiques: David Ospina
«D’où écris-tu ? À quelle époque écris-tu ? Qu’est-ce que la francophonie pour toi?» Ces questions, posées d’auteur à auteur, ont dressé le squelette de cette soirée de lectures théâtrales. Se renvoyant la balle tour à tour, Marcelle Dubois et ses acolytes enflammés – poètes, dramaturges, écrivains – ont dépeint par des mots tantôt poétiques tantôt comiques, l’actualité quotidienne éprouvée d’une francophonie polyphonique et bavarde. Néo-colonisés, en minorité ou à peine considérés, les parcours hétéroclites se manifestent et dialoguent, conscients de leur genèse parfois torturée («Je parle français car je suis peut-être encore colonisé», osera dire l’homme de théâtre Soeuf Elbadawi, originaire des Comores, ancienne colonie française devenue indépendante en 1975), mais désireux d’un avenir résilient et riche.
Bien loin du spectre de l’Académie française, machine infernale veillant à l’uniformisation, à la régulation et à la propagation d’une langue d’abord française avant d’être francophone, les prises de parole d’ailleurs et d’ici ont (dé)clamé, voire parfois hurlé, l’existence artistique et politique d’une pluralité langagière nécessaire et en perpétuelle évolution.

Crédits photographiques: David Ospina
Refus d’un immobilisme et d’une passivité subie – l’éternelle excuse de la situation économique? – aujourd’hui incarnés par les institutions, souhait de dépasser le passé et ses lourds legs qui ankylosent et rendent amer, édification d’une communauté du verbe qui ferait affront aux frontières diplomatiques rigides et qui créerait un nouveau sentiment d’appartenance: voilà ce qu’ont exprimé individuellement, mais aussi sous le drapeau de leur collectif respectif, les seize auteurs. Le temps d’une soirée, que ce soit à l’unisson ou par écho, Marie-Louise Bibish Mumbu, Marc-Antoine Cyr, Soeuf Elbadawi, Bernard Lagier, Frantz Succab, Évelyne Trouillot, Faustin Keoua Léturmy, Céline Delbecq, Veronika Mabardi, Natacha de Pontcharra, Nathalie Fillion, Jean-Philippe Raîche, Gabriel Robichaud, Jérôme Richier et Antoinette Rychner et Marcelle Dubois, se sont hissés en porte-drapeau d’un discours fédérateur encourageant l’émergence d’une identité francophone rhizome qui n’assimile pas (ou plus), qui ne polarise pas (ou plus), qui n’exclut pas (ou plus).

Crédits photographiques: David Ospina
Puissance et promesse sont les mots qui resteront gravés dans les mémoires de celles et ceux qui ont eu la chance d’assister à cette soirée d’ouverture, probablement marqués par l’éloquence de certains et par la virtuosité stylistique de d’autres. On déplorera cependant une inégalité frappante dans le jeu théâtral de ceux qui s’avèrent être plus écrivain que performateur, péchant malheureusement à l’exercice oratoire et déséquilibrant à plusieurs reprises la prestation globale. Cela n’enlève toutefois rien à la portée du message ainsi qu’au charisme de tous, fervents fondateurs de ce que Cécile Wajsbrot (Sentinelles, 2013, Christian Bourgois) appelle «une communauté de destin», «ceux qui se trouvent sur [un] même territoire au même moment [et qui] ont quelque chose à partager […]».
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La 13e édition du Festival Jamais Lu est présentée jusqu’au 9 mai 2014 au Théâtre Aux Écuries.
Article par Irène Raparison. Elle est chroniqueuse et co-animatrice à l’émission radio Tendances Urbaines, sur les ondes de CHOQ.ca. Elle est aussi pigiste culturelle pour le site d’actualités africaines Touki Montréal.