Marie Demers est l’une de mes autrices d’autofiction préférées puisqu’elle sait tout coucher sur papier – le beau, le laid, l’extase, l’abus. Dans son dernier roman, Les détournements, Marie Demers s’oblige à faire face à tous ses démons. Elle nous fait part d’une introspection dans laquelle elle analyse plusieurs relations qu’elle a entretenues. En accord avec sa psychologue, l’autrice concède qu’il n’est plus possible d’éviter. Même si la personnalité pétillante de Marie Demers est présente dans ce roman récemment publié chez Hurtubise, on sent que l’œuvre est empreinte de douleur.
Comme à son habitude, Marie Demers offre une œuvre marquée de réalisme. D’un côté, le franglais – doux mélange du français et de l’anglais – reflète parfaitement le dialogue québécois. D’un autre, les moments partagés par la narratrice révèlent des événements réels auxquels il est possible de se référer, comme la publication de son roman Les désordres amoureux. De ce fait, lorsque l’autrice écrit que, dans l’autofiction, elle se donne la mission d’être « au plus vrai partout[1] », je n’ai eu aucune difficulté à y croire. On perçoit d’ailleurs une mise en abîme puisque Marie Demers nous transmet des informations quant à son processus d’écriture, écrit des impressions alors même qu’elle rédige ses textes et les envoie au compte-gouttes à son éditrice.
Le roman est teinté d’un désir de satisfaire aux attentes, d’un culte de performance et de perfection qui se reflètent dans chacune des relations de Marie Demers – à la fois autrice et protagoniste. C’est une œuvre très intime, voire une introspection. Pour ma part, le fait d’être en mesure de me reconnaitre dans certains passages, certaines douleurs, m’a permis d’apprécier ma lecture d’autant plus. Il faut cependant être prêt·e·s mentalement à faire cette lecture, être dans le bon état émotionnel, car c’est une œuvre exigeante. En effet, l’autrice y aborde plusieurs événements de vie traumatiques. Elle mentionne d’ailleurs que ce fut une œuvre difficile à écrire, mais que son besoin de le faire a surpassé celui de ne pas blesser les gens qui s’y trouvent en disant l’entière vérité dans son roman. C’est un livre qui se veut réparateur. Marie Demers y fait face à ses schémas amoureux répétitifs, d’autodestruction, d’autosabotage dans le but de les comprendre et, ultimement, de les déconstruire.
L’œuvre est séparée en 6 parties dans lesquelles nous rencontrons toutes les personnes qui ont eu un impact sur la vie de l’autrice. La relation avec sa mère a une grande importance, il s’agit d’une relation parfois malsaine, souvent conflictuelle, mais surtout maladroite. C’est un rapport empreint de nuances, dans lequel il y a tout de même énormément d’amour. Marie a été adulée par sa mère, Dominique Demers, lorsqu’elle était jeune, jusqu’à devenir la protagoniste d’une bonne partie de ses œuvres. Elles étaient très proches, proximité qui a parfois nuit au rapport maternel, qui se transformait plutôt en rapport amical. Le fait qu’elle soit une autrice jeunesse prolifique a souvent effacé Marie, d’abord à l’école, puis en tant qu’autrice. Son père, décédé subitement alors qu’elle entrait dans la vie adulte, a longtemps été un étranger puisqu’il était dévoué à son travail au point de ne jamais être présent. La relation avec ses parents a fait en sorte que Marie a dû prendre des responsabilités d’adulte bien avant l’âge. Cela a aussi influencé chacune de ses relations ultérieures. Ce sentiment de solitude et cette instabilité relationnelle l’a conduite à fuir dans tout : le travail, la boisson, l’hypophagie, les hommes, les voyages. Des détournements.
Cette introspection nous pousse à réfléchir à nos propres mécanismes de défense, à nous questionner sur ce à quoi nous avons de la difficulté à faire face. Pour écrire et publier Les détournements, Marie Demers a dû faire preuve d’énormément de courage puisqu’elle se permet d’affronter ses vulnérabilités et de confier ses états d’âme à des centaines, voire des milliers de lecteur·rice·s.
[1] Marie Demers, Les détournements, Montréal, Hurtubise, 2023, p. 183.
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Demers, Marie, Les détournements, Montréal, Hurtubise, 2023, 256p.