« Comment occuper ce temps que je vis comme une contrainte[1] ? »
Voilà un extrait qui met bien la table pour le tout premier roman de Laurence Pelletier. La protagoniste, Laurel, est particulièrement douée pour s’empêcher d’être libre. En effet, elle est toujours dans la fuite, autant physique que mentale. Laurel s’empêche de réfléchir et de s’abandonner à des idées qui la rendraient vulnérable. C’est un personnage qui ne laisse personne pénétrer son intimité. Elle préfère écouter et tenter de déchiffrer les autres, sans toutefois réellement se comprendre elle-même. Laurel semble donc être un personnage mystérieux, qui se moule à son environnement en préférant agir comme observatrice plutôt que de se mettre au premier plan.
C’est avec un vocabulaire riche que Laurence Pelletier fait déambuler sa protagoniste dans les rues de Montréal. Entre les événements amicaux et les soirées au bar, l’autrice réussit à pousser la réflexion de Laurel, lui donnant des aspects parfois philosophiques, parfois psychologiques. Son maniement des mots évoque incontestablement son parcours universitaire : Laurence Pelletier a étudié en littérature à l’Université du Québec à Montréal, où elle a obtenu son doctorat en études littéraires en 2020. Cet amour de la langue se perçoit à travers le vocabulaire varié et les tournures de phrases recherchées qui emplissent son roman.
Dans celui-ci, Laurel accepte malgré elle une invitation à souper de la part de son ex-petit copain. Elle se retrouve à table avec lui alors qu’elle n’avait aucune intention de le revoir. Du moins, c’est ce qu’elle prétend, même si elle semble confuse aux yeux des lecteur·rice·s. Laurel travaille pour le magazine Antichambre, dans lequel elle s’intéresse aux meubles et aux lieux investis par les personnalités publiques pour mieux cerner leur identité. Elle s’intéresse beaucoup aux autres alors qu’elle semble s’évader d’elle-même. Lors des soirées mondaines auxquelles elle participe, Laurel met de l’avant l’hypocrisie des autres personnages, qui s’inventent des vies rocambolesques et des opinions controversées au gré des conversations. Ainsi se construisent les masques de chacun·e qui convoite l’acceptation, le désir et la popularité. Laurel, passive, préfère errer dans les rues de la ville. Cela lui permet d’empêcher ses émotions de la dominer et de repousser la prise de décision. Elle s’élance toujours un peu plus loin avec l’ambition de faire taire ses ruminations, mais elle devra tôt ou tard faire face à la réalité.
[1] Laurence Pelletier, Laurel, la nuit, Montréal, XYZ, coll. « Quai no 5 », 2023, p. 14.
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Pelletier, Laurence, Laurel, la nuit, Montréal, XYZ, coll. « Quai no 5 », 2023, 184p.