Réfléchir le pire, dire le pire, comme commandé par une force destructrice… La logique du pire, deuxième collaboration entre Étienne Lepage et Frédérick Gravel (Ainsi parlait… à l’édition 2013 du FTA) place dans la bouche de ses cinq antihéros des mots aussi audacieux qu’impertinents, menant chacun des sketchs composant le spectacle jusqu’à l’épuisement dans un malaise jouissif. Le meilleur du pire.

Dès l’entrée en salle, les cinq comédiens habitent la scène, conversant entre eux dans une grande nonchalance. Il ne se trouve sur ce grand plateau rien d’autre que ces cinq corps qu’un sofa vert, une console de son miniature et son siège, deux pieds de micros et un petit panier de fruits déposé au sol. Sur la scène drapée d’un grand tissu beige règne le vide. Un vide qui, tout au long du spectacle, semblera guider le rythme des personnages et catalyser l’effet d’étrangeté des mots atypiques. La conception d’éclairage, où le vert prévaut, contribue également à créer un lieu de confidence des plus froids, où le regard de l’autre semble toujours confrontant.
S’ensuit une heure de courts sketchs tantôt racontés, tantôt chantés et songés, ou bien joués avec une intensité qui détonne et nous déstabilise. Le fil conducteur de tous ces numéros est cette logique loin de toutes certitudes. On survole des situations des plus opposées en ne conservant de l’une à l’autre que cette logique interne du mauvais choix. Et on rit. Pas d’un rire gras ou spontané, mais de ce rire qui nous colle au visage un sourire impossible à déloger. Le texte d’Étienne Lepage est subtil et brillant, regorgeant de réflexions poussées jusqu’à l’absurde et de tournures habiles. La mise en scène, signée par le duo de Lepage et Gravel, sert bien le texte, réussissant à isoler chacun des corps dans l’espace tout en créant une sorte de cohabitation entre les figures, qui interviennent parfois durant les récits des autres.

Les cinq interprètes de la pièce, Alex Bergeron, Yannick Chapdelaine, Gabrielle Côté, Renaud Lacelle-Bourdon et Marilyn Perreault, réussissent tous à développer, même dans leur non-jeu, une identité qui les suit tout au long du spectacle et finit par les relier dans une unité, une sorte de clique du pire. L’interprétation de chacun est très juste; soulignons tout de même la performance de Renaud Lacelle-Bourdon, qui nous transporte lors du sketch le plus fort de l’ensemble dans un tourbillon qui le mène d’une chambre d’hôtel à un cabinet de dentiste jusqu’à Port-au-Prince dans un cinq minutes de logorrhée des plus désopilantes.
Bien qu’on aurait aimé voir le chorégraphe Frédérick Gravel offrir à ces corps un peu plus de mouvement (les quelques parties chorégraphiées du spectacle offrent un élément très vibrant à la représentation), la prose bouillante d’Étienne Lepage réussit, le temps d’une heure trop courte, à nous élever jusqu’au pire de l’homme.
La pièce La logique du pire avait lieu du 3 au 5 juin 2016 à la 5e Salle de la Place des Arts.
Article par Nicolas Guillemette.