« Mon père a un nouveau vocabulaire dont je n’ai pas les clés. Et lui a perdu celles pour le nôtre[1]. »
Marika Lhoumeau partage avec nous un pan de sa vie dans sa première œuvre, Devenir Margot. L’autrice et actrice explique d’abord sa démarche d’écriture. Dans ses dernières années de vie, son père, Roger, souffre de démence mixte. Marika décide alors d’enregistrer ses conversations avec lui pour tenter de les démystifier. Ces conversations feront d’abord l’objet du balado Devenir Margot. Ce projet sera par la suite retranscrit et transformé en œuvre littéraire éponyme. L’ouvrage, publié chez Somme Toute en février dernier, nous plonge au cœur de cette aventure intime et émouvante.
Le récit de Marika Lhoumeau se tisse au fil des visites à son père au centre d’hébergement de soins de longue durée. La nouvelle réalité de Roger requiert une grande adaptation non seulement pour lui, mais aussi pour tous ses proches. Jour après jour, ceux-ci font face à de nouvelles pertes, à de nouveaux deuils. La dégénérescence de Roger entraine donc une nouvelle réalité pour toute la famille. En plus de cet ajustement difficile, Marika doit également faire face à un événement perturbant : son père n’a aucun souvenir d’elle et lui attribue une nouvelle identité. C’est ainsi que Margot, empruntant les traits de Marika, apparait. Après avoir essayé de rectifier la situation, Marika décide de jouer ce rôle, comme elle l’a fait à maintes reprises dans le cadre de son travail de comédienne. Ceci entraine cependant son lot de questions : qui est Margot ? pourquoi réapparait-elle maintenant ? lui ressemble-t-elle ? Marika, appuyée de son conjoint, se lance ainsi dans de grandes recherches afin de trouver l’identité de cette femme mystérieuse.
Le récit de Marika Lhoumeau est touchant. Il offre un regard sur les conséquences vécues par les proches des personnes atteintes de démence. Entre la confusion, la frustration et la dévastation, nous percevons la difficulté de perdre un être cher avant même qu’il soit parti. Pour Marika, c’est aussi l’occasion d’améliorer sa relation avec son père, auparavant conflictuelle puisqu’il était plutôt contrôlant avec elle. Margot lui offre une deuxième chance.
Roger, naviguant entre les souvenirs et le présent, est quant à lui plus ou moins conscient de sa condition. Lentement, ses proches, son passé, la parole et même les gestes automatiques s’effacent de sa mémoire. Il oublie tout jusqu’à s’oublier lui-même. Nous sommes, en tant que lecteur·rice·s, également témoins de sa détérioration au fil des pages. Cela rend le récit d’autant plus bouleversant puisque nous nous attachons à cette nouvelle complicité entre Marika-Margot et son père. J’ai personnellement terminé ma lecture en essuyant les larmes qui coulaient le long de mes joues. C’est une œuvre très prenante, qui brille par son authenticité.
[1] Marika Lhoumeau, Devenir Margot, Montréal, Somme Toute, 2024, p. 20.
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Lhoumeau, Marika, Devenir Margot, Montréal, Somme Toute, 2024, 120 p.