Apocalypse solaire et délires monétaires. Viande à chien de Frédéric Dubois, Jonathan Gagnon et Alexis Martin

Alors que les pièces sur les déboires capitalistes se multiplient, Viande à chien joint sa voix aux récentes productions que…
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Alors que les pièces sur les déboires capitalistes se multiplient, Viande à chien joint sa voix aux récentes productions que sont Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël et Les champs pétrolifères. À la différence de ces dernières, Viande à chien accorde plus d’importance à la scénographie qu’au texte, livrant une adaptation difficilement intelligible de la célèbre œuvre de Claude-Henri Grignon.

Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)
Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)

Peut-être est-ce la multiplicité des voix qui édulcore le message à passer. Écrire à six mains, comme l’ont ici fait Frédéric Dubois, Jonathan Gagnon et Alexis Martin, est une entreprise dangereuse débouchant trop souvent sur des propos éparpillés que l’on arrive pas ensuite à rapailler en une ligne directrice digne de ce nom. En transposant le destin de Séraphin et Donalda en notre époque trouble, Viande à chien se perd trop souvent aux sources d’inspirations fécondes qui se mêlent sans réussir à se fondre. Il est question de crise planétaire provoquée par une irruption solaire ayant pour effet de bousiller tant les réseaux télécommunicationnels et électriques, que les ondes de toute sortes. À cette thématique déjà prégnante s’ajoute celle d’un peuple ancestral qui voue un culte à la création à travers la destruction. Bien que complémentaires, ces voies ne sont pas assez développées pour que le lien ne paraisse pas ténu. Dommage, le potentiel était immense!

Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)
Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)

La trame de fond, quant à elle, est connue de tous, bien que mise au goût du jour. Séraphin, maire et richissime investisseur, traque sans relâche les bonnes occasions de faire des affaires, même si ce doit être au détriment des autres. Il obéit au code d’honneur de l’argent, qu’il a lui-même fabulé, comme il s’en rendra compte bien assez tôt. Sa femme Donalda tombe malade, sombrant dans un délire solaire qui peine à convaincre malgré la beauté de certains passages. Le beau Alexis, photographe, parcourt le monde et sème ses maigres économies sur son passage, véritable antagoniste de son cousin Séraphin. Lors de ses escales, il met un point d’honneur à courtiser la belle Donalda qui lui résiste cependant.

Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)
Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)

Véritable héroïne de ce spectacle, la scénographie de Viande à chien déborde de toute l’inventivité que l’on connaît au Nouveau théâtre expérimental ainsi qu’au Théâtre des fonds de tiroirs. Même si on ne comprend pas toujours le vague symbolisme qui sous-tend toute la pièce, c’est un réel plaisir que d’admirer une machine produisant par les moyens les plus originaux une musique aléatoire. Des capsules filmées en direct fournissent l’avis des «experts» sur une foule de sujets ce qui, en dépit de casser le rythme, fait parfois rigoler l’assistance. Mention spéciale à Alexis Martin contrefaisant l’anthropologue Marcel Mauss.

Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)
Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)

Du jeu, il faudra donner une impression ambigüe. Sébastien Dodge arrive parfois à composer avec son personnage de Séraphin, s’inspirant de l’interprétation de ses prédécesseurs, sans toutefois nous débarrasser d’une persistante impression de fabriqué. A-t-on voulu déshumaniser son personnage, le lier au froid domaine calculateur de l’argent plutôt qu’à celui des hommes? Guillaume Baillargeon en incarnant Alexis donne une bouffée d’air à la scène dès son arrivée, plus juste, même si cela a pour effet de faire d’autant plus détonner ses compagnons de jeu. Noémie O’Farrell (Donalda) paraît souvent absente ou surjoue de façon désagréable ses passages les plus enflammés. Difficile d’évaluer la performance de Louise Cardinal en domestique philippine, puisque l’on ne comprend toujours que très vaguement son utilité dans le récit. Finalement, Jonathan Gagnon s’en tire bien dans ses rôles de soutien.

Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)
Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)

En dépit de tous ses défauts, la mise en scène de Frédéric Dubois n’est pas mauvaise. Elle donne cependant à voir l’importance d’élaguer, de centrer son propos. En sortant de Viande à chien, on se sent certes perdu, mais on ne peut nier le travail formel exemplaire qui a été réalisé. Pour ceux qui avaient envie d’une vraie charge anticapitaliste, faudra relire Un homme et son péché.

Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)
Viande à chien (Crédit photo Gilbert Duclos)

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Viande à chien de Frédéric Dubois, Jonathan Gagnon et Alexis Martin est présenté à l’Espace Libre du 19 novembre au 7 décembre 2013. Le spectacle s’installera ensuite au Théâtre Périscope de Québec du 14 janvier au 1er février 2014. M.E.S. Frédéric Dubois.

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.