L’essoreuse à salade : L’éternelle valse du quotidien

Nommé parmi les 10 auteurs à surveiller selon Plus on est de fous, plus on lit! en 2017, Philippe Chagnon…
1 Min Read 0 60

Nommé parmi les 10 auteurs à surveiller selon Plus on est de fous, plus on lit! en 2017, Philippe Chagnon suscite l’intérêt du monde littéraire depuis la parution de son premier recueil de poésie Coeur takeout en 2013. Cet automne, il poursuit son incursion dans les profondeurs du quotidien en nous offrant son deuxième roman, L’essoreuse à salade, paru aux éditions Hamac.

L’essoreuse à salade, Philippe Chagnon (source: Hamac)

Un soir, en passant la laitue dans l’essoreuse à salade, le narrateur du roman décide d’élire domicile dans le débarras adjacent à la cuisine. Il y transfert progressivement ses effets personnels jusqu’à ce qu’il n’ait presque plus besoin de s’aventurer dans le reste de l’appartement, qu’il partage avec sa copine Margot. C’est à partir de ce moment que sa vie et sa relation amoureuse commenceront à se détériorer. Ainsi, L’essoreuse à salade s’inscrit tout à fait dans la continuité des textes précédemment livrés par Chagnon. Encore une fois, le ou la lecteur·trice se retrouve devant un roman qui met en évidence la banalité souvent remplie d’absurdité du quotidien. Sous la prose de Chagnon, parfois empreinte d’humour, mais toujours détachée, se déploie un récit avec lequel nous sommes tous et toutes familier·ères. C’est le récit de celui ou celle qui s’isole progressivement. C’est surtout le récit de celui ou celle qui laisse tout se détériorer autour de lui, jusqu’à sa relation amoureuse. «Après tout, si j’avais décidé de recentrer dans le local la majeure partie de mon temps libre, c’était parce que je lui tombais de plus en plus sur les nerfs — et ça n’allait apparemment pas en s’améliorant» (p.29), explique à un moment le narrateur au sujet de sa compagne Margot. 

Ainsi, le débarras sert d’espace de fuite partielle pour le narrateur qui semble faire tout à moitié: pas question de quitter l’appartement définitivement, un simple retrait fera l’affaire. Dans le débarras ont été rangé «[…] des bacs en plastique rigide remplis de trucs divers pas assez importants pour être gardés à l’intérieur de l’appartement, mais pas assez banals pour être jetés (débarras un jour, débarras toujours).» (p.15) En s’isolant du reste de l’appartement, le narrateur se retire de la vie commune, à l’image des objets qui ont été délaissés et oubliés au fil du temps et qui viennent en quelque sorte lui servir de miroir. Dans son profond désintérêt, ces babioles lui offrent un regard sur l’avenir dans le local de rangement. Plus qu’un ennui profond, le narrateur exprime l’impossibilité de trouver un endroit à soi: «C’est un problème étrange que celui de ne pas savoir où se mettre pour exister doucement.» (p.29)

La grande force de Chagnon est de réussir à faire adhérer ses lecteur·trices à une prémisse loufoque et un titre qui a toutes les marques de la banalité: qu’est-ce qui pourrait bien nous intéresser dans une essoreuse à salade? Comme il l’admet lui-même, dans une entrevue accordée à Les libraires, l’article de cuisine apparaît un peu de nulle part, mais finit par se frayer un chemin dans le récit. L’essoreuse à salade devient presque un déclencheur de changements que subiront les personnages par la suite: «En même temps, en y repensant après coup, l’essoreuse est très figurative puisque, chaque fois qu’un personnage s’en sert, un changement majeur se produit dans l’attitude de l’utilisateur.[1]» L’essoreuse à salade joue en quelque sorte un rôle métaphorique à la fois pour signifier cette mise en mouvement, ce brassage du quotidien et aussi la nature cyclique de celui-ci. Ainsi, l’outil de cuisine suscite un intérêt surprenant chez le ou la lecteur·trice qui en vient même à anticiper son retour au fil du récit.

En contrepoint à l’essoreuse à salade, dont l’utilisation vient ponctuer les jours, la forme du roman est composée de fragments plus ou moins longs. Ainsi, la structure sert à merveille le propos en offrant des vignettes sur le quotidien du protagoniste. Cela a pour effet de séparer chacun des événements du récit, d’en évacuer en quelque sorte une grande logique qui expliquerait chacun des actes posés. L’originalité du texte prend également forme par le penchant ludique d’un écrivain qui sait se jouer des attentes du lectorat en brouillant la frontière entre l’instance narrative et l’auteur. 

L’essoreuse à salade, sans jamais se reposer sur la description, témoigne d’un impressionnant sens de l’observation. Ainsi, Chagnon livre un roman facile d’approche et qui se lit d’une traite, mais qui ne manque toutefois pas de sérieux. À la manière de la contrebasse — instrument joué par le narrateur, mais qu’il finira par délaisser (évidemment!) —, le style rythmé vient soutenir le motif de la cyclicité. Cet éternel retour, couplé à l’ennui profond du protagoniste sauront déstabiliser le ou la lecteur·trice quant à ses propres habitudes journalières.


[1] Josée-Anne Paradis, « Philippe Chagnon: Dépeindre la banale étrangeté du quotidien », Les Libraires, N °15, 21 octobre 2019. 

***

Philippe Chagnon, L’essoreuse à salade, Montréal, Hamac, 2019.

Audrey Deveault, candidate à la maîtrise en études littéraires à l’UQAM

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM