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17-04-2025 Vol 19

L’extrême tombé à plat. Radical K-O de Jocelyn Pelletier au Festival Grand Cru

Jocelyn Pelletier, nouvellement étudiant en mise en scène à l’École Nationale de Théâtre, présentait son nouveau spectacle Radical K-O au Théâtre La Chapelle, dans le cadre du Festival du Grand Cru. Radical K-O est une pièce sans texte, mais truffée d’images fortes, où il explore les extrêmes, comme la vie et la mort ou le sexe et la violence. Mais, à quel point pouvons-nous pousser le spectateur dans la provocation avant qu’il ne décroche par un trop-plein d’intensité?

Crédit photographique: Charles Fleury
Crédit photographique: Charles Fleury

La scénographie de Jean-François Labbé est composée d’un ring de boxe, avec une petite trappe au centre, dont la base est emballée dans une pellicule plastique, ce qui crée un espace de jeu plus symbolique sous la plateforme. Du plafond pendent des chaines, dont trois sont flanquées de mousquetons; on se doute qu’un objet sera suspendu. Les éclairages sont assez sombres durant toute la représentation, créant un climat plutôt inquiétant. Des projections vidéo ponctuent régulièrement les tableaux, mais leur raison d’être n’est pas toujours évidente. Elles viennent parfois simplement plaquer ce qui est représenté sur scène, comme lorsqu’on voit apparaître des projections de chaines, identiques à celles déjà suspendues au plafond. Sinon, les images sont souvent abstraites et ne font qu’ajouter une couche de sens, mais de sens difficile à décoder pour les spectateurs. Certes, elles sont souvent très belles, surtout quand leur lumière se reflète sur la pellicule plastique, mais ce n’est pas constant. Par ailleurs, les éclairages sont souvent sombres, créant un espace très mystérieux, ce qui contraste beaucoup avec l’immensité de l’écran de projection et la luminosité qui s’en dégage.

Dès qu’on entre dans la salle, on sent une atmosphère qui rappelle les films noirs américains; une femme aguicheuse se tient debout à l’extrémité d’un ring de boxe, observée par un homme à l’autre extrémité, l’atmosphère est inquiétante et sombre. Caroline Boucher-Boudreau porte une robe noire courte et un manteau de fourrure et Érick D’Orion est tout en noir; il a des allures de bourreau. Il est assis sur un tabouret et fume une cigarette en regardant la femme. On sent qu’on attend quelque chose, en suspens devant cette action minime. La pièce commence comme débuterait un match de boxe. Jocelyn Pelletier entre tel un lutteur sur scène.

Crédit photographique: Charles Fleury
Crédit photographique: Charles Fleury

Comme il n’y a pas de texte, Pelletier s’appuie sur les mouvements pour créer la trame narrative. Celle-ci n’est cependant pas toujours évidente à suivre. On sent parfois qu’il n’arrive pas à traduire en gestes ce qu’il a probablement imaginé à partir d’une réflexion textuelle. Il est donc parfois difficile de dépasser ce qui, au final, ressemble plus à un exercice de style, qu’à une pièce finie. Cela dit, Pelletier réussit à créer de très belles images scéniques autour desquelles il y aurait matière à développer un spectacle plus étoffé. Par contre, on se demande parfois ce qui relie les tableaux ensemble. On passe d’une lutte de Pelletier avec lui-même, à un moment abstrait où Caroline Boucher-Boudreau, en sous-vêtements, se meut tel un fœtus sous le ring de boxe. Par ailleurs, on passe souvent très rapidement d’une image à l’autre, ne laissant pas assez de temps pour que le spectateur savoure le moment, ou simplement pour qu’il comprenne ce qu’il vient de voir. D’ailleurs, la musique d’Érick D’Orion nous étouffe aussi, puisque plus le temps avance et plus la musique, les bruits sourds, les grondements et les musiques industrielles, nous agressent les tympans. Vers la fin du spectacle, c’est carrément insoutenable et beaucoup de spectateurs se bouchent les oreilles.

Dans le programme, Pelletier parle d’extrêmes. On s’y rend, mais on plafonne très rapidement et le spectateur finit par décrocher, n’espérant que la fin pour enfin respirer. On sort de la représentation complètement vidé, ce qui était peut-être l’effet recherché par le metteur en scène. Cela dit, je pense sincèrement qu’il tient ici matière à création, mais que beaucoup de peaufinage est nécessaire. Ce travail aurait sans doute pu être accompli si le metteur en scène et l’assistante à la mise en scène n’avaient pas tous deux fait partie de la distribution, ce qui empêche cruellement, on l’imagine, d’atteindre une distance critique nécessaire par rapport à l’entièreté de la création.

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Radical K-O était présenté le 25 et 26 septembre 2015 au Théâtre La Chapelle, dans le cadre du Festival Grand Cru. Pour plus de critiques concernant des spectacles présentés dans le même festival, vous pouvez lire celle du spectacle Unrelated de Daina Ashbee ici et celle des spectacles Mange moi d’Andréane Leclerc et The Principle of Pleasure de Gerard Reyes ici.

Article par Anne-Marie Spénard – Issue du baccalauréat en Études théâtrales à l’École supérieure de théâtre, Anne-Marie est aussi passée par les Women’s Studies à Concordia . Elle entretient une légère obsession pour la question des genres, la musique et la mer.

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