Plus de 50 ans après sa mort, Albert Camus et son œuvre continuent de fasciner un large public. Décédant dans la fleur de l’âge en des circonstances tragiques, il lègue au monde entier un travail de l’esprit protéiforme, ample et impérissable qui s’exprime dans la langue du théâtre, celle du roman et de la philosophie. Faite d’engagements et de paradoxes, sa vie paraît presque aussi magnétique. Naviguant entre l’une et l’autre dans une forme de théâtre documentaire, L’Énigme Camus explore ce grand dédale en nous dévoilant du même coup les coulisses de sa démarche.

De gauche à droite : Gaétan Nadeau, Mohsen El Gharbi, Philippe Régnoux. Crédits photographiques : Michael Slobodian
Au centre de celle-ci: la relation trouble de Camus avec son pays natal qu’est l’Algérie. On le sait, contrairement à l’élite intellectuelle de la gauche de l’époque (Sartre et consorts), Camus a refusé de cautionner la lutte qui a mené à l’indépendance de l’ancienne colonie française. Lui-même Pied-Noir, il a affirmé jusqu’à la fin croire en une possible bonne entente entre Français et Arabes. L’Énigme Camus propose ainsi une expérience intéressante en fournissant en partie les éléments nécessaires à la compréhension du conflit, laissant au spectateur la lourde tâche de juger par lui-même de cette complexe question politique, sociale et morale.
L’idée est magnifique et le propos passionnant. La preuve en est que même celui qui a fréquenté une bonne partie de l’oeuvre de Camus y apprendra nombre de choses. L’affaire se gâte toutefois assez gravement dans le traitement choisi. En voulant donner accès aux questionnements de l’équipe quant aux choix artistiques à faire, la mise en scène de Jean-Marie Papapietro produit l’effet inverse, c’est-à-dire celui, malaisant, d’une œuvre à l’état d’ébauche où l’on n’a pas su trancher efficacement. Acteurs-personnages passent leur temps à s’interroger sur la façon de présenter une dimension de la question au lieu de tâcher d’y répondre. De ce fait, l’interprétation paraît fréquemment plaquée en dépit du talent que l’on connaît à ces comédiens (pour les avoir vus ailleurs) et certaines sections en viennent ainsi à frôler l’amateurisme.

De gauche à droite : Philippe Régnoux, Mohsen El Gharbi, Gaétan Nadeau, Roch Aubert. Crédits photographiques : Michael Slobodian
Est-ce là le fruit d’un manque de moyens ou de temps? Difficile à savoir. Il n’en demeure pas moins que l’on se sent désolé pour ces pauvres interprètes qui semblent perdus dans un vague canevas esquissé à main levée. La chose est malheureuse puisque les bonnes idées abondent, même si rien ne semble réunir ce qui s’apparente à des numéros de spectacle de variétés, certes talentueux, mais n’arrivant pas à former un tout. Les moments de théâtre apparaissent à intervalles réguliers, évanescents, lorsque les comédiens sortent enfin de leur rôle de recherchiste pour interpréter des scènes de la vie de Camus ou encore une pièce satirique (jamais montée) de l’écrivain portant sur la bourgeoisie intellectuelle du Tout-Paris. Quelques archives audiovisuelles viennent compléter le tableau.
Le public était en droit de s’attendre à beaucoup mieux d’une pièce s’attaquant à un monstre sacré comme Camus et c’est peut-être pourquoi la déception à son égard n’en est que plus grande. Le portrait ne s’avère pas à la hauteur de l’homme et c’est regrettable. Mais que voulez-vous, la création est faite d’errements et le chemin qui mène au succès est pavé de bourdes. Subsiste la grande œuvre de Camus, inaltérable et grandiose, à revisiter d’urgence.
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L’Énigme Camus de Jean-Marie Papapietro, présentée du 12 au 29 novembre 2014 à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Une M.E.S. Jean-Marie Papapietro.