Depuis plusieurs années, les femmes se tiennent les coudes et militent afin d’acquérir des droits. La Journée internationale des droits des femmes, qui a lieu le 8 mars, est un rappel de tout le chemin accompli et de l’importance de ne pas le tenir pour acquis. Même si l’égalité des droits n’est pas encore entièrement atteinte, les femmes partout autour du globe font preuve de force, de persistance et de résilience. Celles-ci sont visibles chez de nombreuses autrices, autant dans leurs valeurs personnelles que celles qu’elles laissent transparaitre dans leurs œuvres. En cette journée importante, l’équipe du pupitre littérature a tenu à souligner le travail inspirant des femmes dans le monde littéraire.
Balayer l’image de la mauvaise femme
D’où provient l’image de la femme parfaite ? C’est ce que tente de démystifier l’artiste espagnole Maria Hesse dans sa nouvelle œuvre Ces mauvaises femmes, qui fusionne l’histoire des femmes à de magnifiques illustrations colorées. En remontant le fil du temps, l’autrice récupère les étiquettes apposées aux femmes : femme fatale, folle, putain. Entre les mythes, les contes, les légendes et les œuvres de tout genre qui renvoient aux femmes l’image à laquelle elles devraient correspondre – ou plutôt celle qu’elles devraient éviter –, Maria Hesse démontre que les femmes sont accusées d’être responsables de tous les maux depuis la nuit des temps. Dès qu’elles ont du leadership, de la persévérance ou le moindrement de pouvoir, les femmes sont qualifiées d’être hors normes. Le rôle de la méchante, divergente, traverse l’histoire grecque, romaine et occidentale. Celui-ci se fraie aussi un chemin jusqu’à s’installer dans l’image de la femme véhiculée dans les livres et les films. En fabriquant des personnages selon les archétypes de la guerrière, la sorcière, la vierge, la mère et la putain, il est facile de créer un imaginaire de la femme idéale, qui est cependant très difficile, voire impossible, à atteindre. Bref, l’autrice illustre que, malgré la progression du statut de la femme, il reste encore beaucoup de stéréotypes à déconstruire avant d’atteindre l’égalité.
Écrire pour panser les blessures – Suggestion de notre collaboratrice Mérédithe Naud
La génération Z se souvient du succès phénoménal des livres milk and honey et the sun and her flowers de l’autrice rupi kaur. Traduite en plus de quarante langues et vendue par des sociétés comme Urban Outfitters, l’œuvre de cette militante féministe d’origine indienne n’est pas passée inaperçue. Son recueil le plus récent, home body, ou sa traduction française corps refuge, publié en novembre 2020, fait honneur à la féminité et à la culture de l’autrice. Séparé en quatre sections – esprit, cœur, repos et éveil – et rempli d’illustrations, ce livre raconte la violence, le viol, le combat des femmes et des immigrant·e·s pour survivre. L’autrice invite quiconque qui lira son recueil à prendre une pause, à trouver en soi un discours, mais aussi des réponses. Elle encourage à repenser l’amour à l’extérieur du couple et à s’entourer de femmes ou d’une communauté qui nous feront fleurir. Dans sa poésie autant qu’à l’extérieur de son œuvre, rupi kaur est une activiste qui n’hésite pas à partager ses expériences vécues en lien avec la misogynie, l’âgisme, le trauma intergénérationnel et le racisme. Sa notion du féminisme est simple, mais inclusive, tout comme son écriture. En tant que femme née muselée, elle utilise sa voix pour être libre, en espérant libérer les autres.
Se reconstruire un vers à la fois
La résilience des femmes transperce leurs œuvres littéraires. Peu importe le choc émotionnel qu’elles ont vécu, elles réussissent à trouver la force de se relever. Dans son nouveau recueil de poèmes, Caroline Dawson démontre la persévérance des femmes et leur courage à affronter leur passé. En s’adressant à son fils de sept ans, l’autrice replonge dans son passé alors qu’elle et sa famille venaient de s’extirper de la dictature de Pinochet. Elle exprime les défis que représente une enfance loin de son pays natal, même si cela signifie fuir l’oppression. La poésie de Caroline Dawson, dont les vers authentiques exposent les difficultés de l’immigration à l’enfance, est empreinte d’émotions. Le premier chapitre, « Les poubelles de l’Histoire », offre un témoignage poignant de son expérience en tant que réfugiée à la fois soulagée et dépitée d’avoir dû quitter tout ce qu’elle connaissait. L’autrice transmet à son fils cette histoire d’oppression, de racisme et de discrimination, l’héritage d’un exil. Ce qui est tu est un récit crève-cœur qui met de l’avant la résilience d’une mère qui refuse de léguer sa honte et son silence.
Donner de la visibilité à tous les corps
Dans les dernières années, plusieurs auteur·rice·s se sont positionné·e·s sur l’image corporelle. Diverses œuvres ont vu le jour pour aider à mettre un frein à la discrimination qui s’abat sur les personnes dont le corps ne respecte pas la norme. Parmi celles-ci, la bande dessinée La grosse laide de Marie-Noëlle Hébert, la saga Rentrer son ventre et sourire de Laurence Beaudoin-Masse et l’essai Corps rebelle : Réflexions sur la grossophobie de Gabrielle Lisa Collard. Toutes mettent en lumière les problèmes causés par les standards de beauté : intimidation, dysmorphie, troubles alimentaires. Le 6 mars est paru l’essai autofictionnel Cet exécrable corps d’Eli San. L’autrice y partage le jugement qu’elle porte envers son propre corps, qui n’est pas conforme aux modèles diffusés dans les médias. Même si la société tente de supporter le body positivity en encourageant l’acceptation de soi, la valorisation et l’acceptation de la diversité corporelle ne sont pas un fait accompli. Eli San se livre sur la difficulté d’aimer un corps que tous·tes s’évertuent à rejeter.
De ces amies qui nous hantent – Suggestion de notre collaboratrice Mathilde Pelletier
Dans un pensionnat en pleine forêt, des sœurs religieuses sont responsables de l’éducation de jeunes orphelines. Les filles se côtoient, s’aiment, se détestent, se cachent des secrets, mais se confient aux lecteur·ice·s au fil du récit. L’univers du roman-choral d’Ariane Lessard est glauque, moite, traversé de violence et d’occulte. Sa plume malléable et ingénieuse donne une voix au for intérieur de chacune des pensionnaires, qu’elles soient pudiques, arrogantes, voire meurtrières. Fait intéressant, l’autrice a récemment partagé sur sa story Instagram les résultats d’un sondage informel à propos du style d’Écoles pour filles : selon les participant·e·s du sondage, on pourrait aborder l’œuvre comme un très long poème, plutôt que comme un roman.
Cette œuvre possède non seulement une forme singulière, mais elle dépeint aussi brillamment la profondeur des tensions taboues dans les relations féminines.
Le mouvement du langage
Laure Morali est une poète montréalaise originaire de Bretagne. Depuis les années 90, elle collabore avec des écrivaines des Premières Nations afin d’offrir des oeuvres engagées. Elle y explore notamment les territoires ainsi que les imaginaires autochtones. L’histoire personnelle de l’autrice transcende par ailleurs sa poésie. Rédigés sous forme de langage articulé, les poèmes font honneur à la nature. À travers les thèmes de l’exil et de la déambulation, Laure Morali évoque les cinq sens, ce qui permet aux lecteur·rice·s de plonger avec elle dans la contemplation des paysages qui parcourent ses vers. Son plus récent recueil, Personne seulement, incite au calme en voguant sur la scène montréalaise. Cette poésie fait la part belle au centre-ville de Montréal en errant entre les bâtiments de ce territoire urbain. Les vers libres illustrent une errance dans la ville qui suit le souffle des mots, malgré le rôle de mère qui contraint à la sédentarité dans la société actuelle. Bref, l’écriture de Laure Morali nous inspire la contemplation de notre environnement.
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Article rédigé par Mégane Therrien en collaboration avec Mérédithe Naud et Mathilde Pelletier
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Dawson, Caroline, Ce qui est tu, Montréal, Triptyque, coll. « Poèmes », 2023, 96p.
Hesse, Maria, Ces mauvaises femmes, Melesse, Presque lune, 2023, 168p.
kaur, rupi, corps refuge, trad. Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Montréal, Saint-Jean, 2020, 192p.
Lessard, Ariane, École pour filles, Montréal, La Mèche, coll. « L’ouvroir », 2020, 144 p.
Morali, Laure, Personne seulement, Montréal, Mémoire d’encrier, 2023, 114p.
San, Eli, Cet exécrable corps : dissection de la grossophobie internalisée, Montréal, Remue-ménage, 2023, 128p.