La lecture du nouveau roman de Josée Blanchette, chroniqueuse au Devoir, fait l’effet d’un coup de poing. Le ton du récit est annoncé dès les premières pages, avec la dédicace « À toutes les Lolita qui se taisent ». Se déroulant vers la fin des années 1970, dans un climat effervescent d’émancipation et d’amours libérés, le récit raconte la relation passionnelle entre la jeune Josée, 15 ans, et son professeur d’antiphilosophie au cégep. Surnommé R., l’ancien prêtre de 30 ans son aîné la séduit par son intellect et sa poésie. Ils commencent rapidement un jeu de séduction à travers les projets d’écriture libre de la jeune élève et les commentaires subséquents du professeur, remplis de mots évocateurs et troublants.
Truffée de photographies de l’époque, de fragments du journal intime de la jeune fille et d’extraits de la correspondance entre Josée et son amant, l’œuvre est un véritable témoignage littéraire dépeignant une relation s’étalant sur 5 ans. Pour leur premier rendez-vous, l’ancien curé amène son élève voir l’adaptation cinématographique de Lolita de Stanley Kubrick et il lui offre en cadeau le célèbre roman de Vladimir Nabokov, l’œuvre ayant inspiré le film. Ce classique littéraire dépeignant la relation entre Humbert Humbert, 37 ans, et Lolita, 12 ans, permet de légitimer le fantasme de l’adolescente pour R. Cette attirance, avant tout intellectuelle pour Josée, est également nourrie par un désir de l’interdit pour la jeune adolescente rebelle. Bien qu’elle n’éprouve aucune attirance physique pour le curé défroqué, elle est fascinée par son intelligence et la manière dont il joue avec les mots. À l’opposé, la passion de R. semble avant tout charnelle, le corps de la jeune fille étant au cœur de toutes ses lettres d’amour. On ne peut s’empêcher de ressentir un mélange de colère et d’aversion pour ce personnage qui se croit tout permis et qui exhibe aussi ouvertement sa relation avec une mineure. Malgré son âge et son statut de professeur, ses lettres présentent une inversion tordue des rapports de pouvoir, puisqu’il affirme que Josée a un contrôle total sur lui, qu’il est à la merci de sa sensualité ensorcelante.
Le récit est, somme toute, raconté de manière beaucoup plus neutre que l’on pourrait s’y attendre. Inspirée du vécu de l’autrice, l’œuvre aurait pu être beaucoup plus cinglante et accusatrice envers le prédateur qu’elle s’engage à révéler. Au contraire, elle insiste sur le point de vue de la jeune Josée, narratrice, et la manière dont elle a vécu ce qui s’apparentait, au début du moins, à une histoire d’amour. Elle se considérait comme une élue, chanceuse d’avoir été choisie par cet intellectuel des courants marginaux. En se basant sur ses journaux intimes de l’époque, l’écrivaine arrive avec brio à mettre en scène les événements avec ses lunettes roses d’adolescente. On assiste tranquillement à une prise de conscience au fil de notre lecture et on attend impatiemment le moment où la narratrice arrivera à son point de rupture. La lecture de ce récit est à la fois troublante et addictive, servant à la fois de dénonciation et de mise en garde. Il démontre avec une facilité inquiétante comment il est aisé de se laisser prendre dans la toile d’un abuseur et, même, d’aimer s’en faire désirer.
Blanchette, Josée, Presque vierge, Montréal, coll. « Reliefs », Druide, 2024, 296 p.
Article rédigé par Éloïse Huppé-Gignac