La Charte est passée et les questionnements subsistent. En témoigne bien l’engouement pour le travail de Mani Soleymanlou, toujours aussi fort qu’au début de cette aventure en 2011. Présenté cet été au Festival TransAmériques, TROIS reprend l’affiche ces jours-ci au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui qui renoue avec son ancien nom sous la gouverne de Sylvain Bélanger. Succédant aux pièces UN et DEUX, TROIS est le dernier volet de cette trilogie fouillant les profondeurs de l’identité et de l’immigration. Saluons d’entrée de jeu le choix audacieux de présenter la totalité de la trilogie pour être ce qui s’avère un grand moment de théâtre d’une durée de près de quatre heures. Une expérience de laquelle on sort épuisé, altéré, mais où tout ennui est étranger.
À ceux qui se demanderaient si revoir les premiers volets en vaut la peine, la réponse est oui, sans conteste. D’autant plus que chacune des parties est une relecture de la précédente, une réflexion en perpétuel mouvement, insaisissable et constamment renouvelée. Si dans la pièce UN réside la fraîcheur de l’idée encore inexplorée, la découverte d’une écriture à célébrer et un chaos savamment organisé, DEUX incarne plutôt une thèse à l’aube de sa maturité, peaufinée par la confrontation et grandie par la complicité qu’amène dans son sillage Emmanuel Schwartz. Dans TROIS, les choses se compliquent comme c’est souvent le cas lorsqu’on pénètre dans l’immensité de la multitude. Avec UN en écho, Soleymanlou s’efface derrière une quarantaine de comédiens, tant chevronnés que balbutiants. Derrière l’ambition de la proposition se cache l’égarement. En invitant chacun des interprètes à passer à la confesse, le maître d’oeuvre gagne en latitude mais en dilue son propos. On sent à la fois l’embryon d’une grandeur et l’épuisement du fil conducteur. La capacité de synthèse de l’auteur paraît affaiblie par cette foule indomptable.
Bien sûr, le portrait de société demeure juste et intéressant en lui-même. Il n’en demeure pas moins qu’au lieu d’explorer quelques avenues en profondeur, on tente ici de les parcourir toutes sommairement. Pourquoi avoir accordé tant de temps à ce qui s’apparente à un mauvais cabotinage tragico-comique piloté par Geoffrey Gaquère, alors qu’il y aurait tant à dire? Les courtes interventions se succèdent, les unes pertinentes, les autres moins. Le chaos paraît de moins en moins bien orchestré. On ressent malheureusement plus de malaise que d’espoir à écouter Imagine chantée a cappella. Et pourtant, on pardonne ces écarts devant toutes ces fulgurances qui nous rappellent ce flair qu’a l’auteur. Magnifique instant que celui où Mazyar Shahcheraghi, jeune metteur en scène iranien, permet à Soleymanlou de tempérer sa vision du pays natal en lui parlant de sa propre expérience. La dispute grandiose au sujet de la Charte des valeurs vire à l’empoignade, illustrant très bien ce qu’ont pu vivre ceux qui ont osé soulever la question au cours d’une soirée bien arrosée. Se concluant sur un plaidoyer très juste du comédien innu Marco Collin, TROIS nous rappelle que nous sommes tous l’étranger de quelqu’un, aussi pure laine ou de souche que l’on puisse se fabuler.
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TROIS de Mani Soleymanlou, présenté au Centre de Théâtre d’Aujourd’hui du 30 septembre au 17 octobre 2014. M.E.S. de Mani Soleymanlou.