Pour ceux qui ont lu ma critique précédente sur Le Cid, Othello est le parfait exemple de ces reconstitutions sans esprit. Alison Darcy nous sert une scénographie froide et abstraite à la Adolphe Appia : un cyclorama en fond de scène, un plateau incliné vers l’avant, un escalier à cour meublé de bibliothèques sur roulettes. Une tentative d’épuration, d’abstraction peut-être. Ou encore un retour à la neutralité de la scène élisabéthaine. C’est raté dans tous les cas. Le vide scénique fait seulement écho aux multiples lacunes de la mise en scène.

Tout d’abord, parlons du texte. L’œuvre de Shakespeare a été élaguée pour se serrer en un 2 h 30, incluant l’entracte. Bien que cette pratique soit en pleine vogue dans les mises en scène modernes, elle n’a ici pour effet que de simplifier le propos de la pièce. Bien entendu, on prend soin de garder les répliques les plus connues et de les servir au public comme autant de punchlines. Toute la mise en scène est brodée sur le même principe : garder et surligner ce qu’on connaît de Shakespeare en suggérant une esthétique élisabéthaine contemporaine. Les acteurs, excellents, mais mal dirigés, rendent leur personnage plat et stéréotypé. Othello lui-même ressemble à un cocu complexé, sans grand charisme ni prestance, mais déblatérant constamment. Peut-être un choix dramaturgique, me direz-vous. Si c’est le cas, je ne comprends pas qu’on endosse une vision aussi simpliste pour le retour de Shakespeare au Centre Segal. Rappelons que celui-ci n’avait pas affiché l’auteur éponyme depuis 2004, incident rarissime pour un théâtre anglophone.

Othello est la preuve symptomatique d’un manque de vision au Centre Segal. Le théâtre très conservateur tente depuis quelques années de renouveler son public, offrant des abonnements très favorables aux moins de 30 ans. On mise aussi sur les comédies musicales pour abolir les samedis-amenez-votre-marchette. Toutefois, on continue d’y présenter des productions vides de sens ou de résonance, pourtant issues d’excellentes pièces. Il n’en faut pas plus pour convaincre un public non-averti que le théâtre lui-même en tant qu’art ne fait plus qu’admirer aveuglément sa propre stature.

Malgré quelques effets impressionnants (par exemple le lit de Desdémone), Othello est un spectacle vide, une simple juxtaposition d’effets coûteux qui n’arrivent pas à dire grand-chose. Shakespeare pour Shakespeare. Dommage.
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La pièce Othello de Shakespeare était présentée du 17 novembre au 1er décembre 2013 au Centre Segal. M.E.S. Alison Darcy.
Article par Corinne Pulgar. Bachelière en art dramatique, parfois régisseur, metteur en scène et conseillère dramaturgique. Aussi végétarienne, humaniste, addict de la parrhésie et numéricienne lettrée.