Publié en 2016 aux Éditions du remue-ménage, Histoires mutines est un recueil qui regroupe onze textes rassemblés, écrits, illustrés et publiés par des femmes dans lesquels sont explorées diverses questions touchant le quotidien féminin : les relations amicales, les filiations, l’amour, l’écriture, l’oppression, le militantisme, le sexe, la maladie, le travail.
Chacun de ces courts textes est ponctué des dessins de Cathon, artiste visuelle qui arrive à illustrer avec justesse et ludisme les propos des auteures. En réunissant ces voix tout aussi différentes les unes des autres, Marie-Ève Blais, auteure et libraire féministe (L’Euguélionne), et Karine Rosso, auteure et doctorante en études littéraires, se sont donné l’ambitieux projet de
« libérer la parole des femmes » (p.8). Mais au XXIe siècle, comment réactualiser cette exigence qui peut facilement tomber dans les sauf-conduits, les lieux communs et la facilité ? On veut bien
« libérer la parole », mais qui dit qu’écrire signifie nécessairement un acte de libération, voire d’émancipation. Il faut émanciper l’acte d’écrire lui-même, chose qui ne va pas de soi, que ce soit à travers les dispositifs narratifs ou les rapports avec le réel des femmes dans lesquels s’engage l’acte d’écrire. Parmi ceux-ci le quotidien joue un rôle déterminant pour les écrivaines qui se relaient la parole dans Histoires mutines.
L’intime comme pierre angulaire de chacun des récits, c’est la vie des femmes qui est mise de l’avant, entière, banale ou exceptionnelle, parfois chargée de plaisir, d’humour, de désir et d’autres fois, de tristesse, d’oppression et de colère. Dans l’avant-propos, Rosso et Blais affirment vouloir
« créer un espace où les violences et les fragilités se transformeront en force, en armes. Mettre l’intime au jour. » (p.8) Il y est également question des nombreuses solidarités féministes qui se sont précisées récemment. Le mouvement #agressionnondénoncée en est un exemple, les nombreuses prises de paroles qui ont servi à dénoncer les agressions et les meurtres d’un nombre effarant de femmes autochtones aussi. Bref, selon les auteures, le féminisme est en immense progression : « partout, les féministes s’organisent, se rencontrent et trouvent des voies pour se réapproprier leur corps » (p.8) scandent-elles. D’ailleurs, chacun des onze textes est empreint d’un désir de mettre le corps de l’avant. Que ce soit le « corps fracture » (p. 18) écrit par Marie-Christine Lemieux-Couture ou le corps agissant en tant que « château fort » (p. 23) par Sarah Charland-Faucher, il s’agit d’un motif primordial d’Histoires mutines. Les corps auxquels on fait violence ou auxquels on fait du bien sont repris, partiellement ou entièrement, par les femmes du recueil.
Ces courtes fictions permettent « une rencontre de voix trop peu entendues » (p.8) malgré la multiplication des prises de parole par les femmes dans de nombreuses sphères de la société. Les Histoires mutines sont à l’image de nombreuses préoccupations féministes actuelles. La question de la maternité et aussi du refus de la maternité est un exemple flagrant. Maryse Andraos soulève brillamment le malaise ressenti par de nombreuses femmes quant à la pression indue exercée sur elles quant à la maternité. Elle mentionne aussi celles pour qui le choix de ne pas avoir d’enfants sans être pointées du doigt et marginalisées était inexistant ; « Quelles possibilités avaient nos mères, nos grands-mères, ou encore ces aïeules au regard dur dans les vieux albums de famille ? J’ai toujours été glacée d’horreur à l’idée de subir le destin de femmes d’autrefois […] »
(p. 9).
Ce collectif de femmes est parvenu à écrire et illustrer des histoires qui ont de quoi émouvoir, réconforter, mettre en colère, forcer des remises en question et qui nous rappellent l’importance de nous organiser, de nous raconter et aussi, surtout, d’accueillir ces prises de parole des femmes.
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Marie-Ève Blais et Karine Rosso (dir), Histoires mutines, Montréal, Remue-Ménage, 2016, 162 p.
Article par Anne-Sophie Beaulieu.