L’exposition Cadrer la nature, présentée sur le site Web du Centre d’exposition de l’Université de Montréal jusqu’au 8 juillet, propose une déambulation virtuelle au cœur de la nature urbaine. Commissariée par Catherine Barnabé, l’exposition soulève les sensibilités du paysage en mettant en dialogue des artistes actuelles et des œuvres de la Collection d’œuvres d’art de l’Université de Montréal. Les artistes, toutes des femmes, étaient invitées à investir un territoire spécifique, le Mont-Royal, tout en s’inspirant d’une œuvre de la collection.
Par la progression unidirectionnelle de la page Web sur laquelle l’exposition est présentée, le parcours prédéterminé par la commissaire se fait sentir. En plus d’imiter le déplacement engendré par une exposition physique, malgré son contexte virtuel, la succession rythmée des œuvres fait écho au thème de la déambulation qui revient d’œuvre en œuvre. À travers un dialogue anachronique entre les images numériques et les œuvres de la collection, qui suivent les codes plus traditionnels du paysage, la commissaire met en lumière les multiples possibilités poétiques suscitées par la nature. La spécificité virtuelle de cette exposition souligne le paradoxe entre l’expérience physique de la nature et l’expérience virtuelle qu’on en fait à travers sa présentation en ligne.
L’œuvre À l’imprévu des forêts d’Ariane Plante illustre bien cette représentation numérique de la promenade. Sur la page Web, des photographies de dimensions variées habitent l’espace d’une manière libre, presque aléatoire. L’affichage, loin de la grille traditionnelle, évoque l’intimité d’un journal ou d’un blogue personnel. Les photographies, qui alternent entre couleur et noir et blanc, plan rapproché et plan plus éloigné, image au point et flou induit par le mouvement, sont présentées avec des enregistrements sonores de la forêt. Le jumelage d’un paysage sonore très vivant – on y entend des oiseaux, des insectes, des voix humaines – aux images fixes crée une brillante tension entre l’image arrêtée, immuable, et la mouvance organique du réel. La juxtaposition du son sur le contenu visuel construit une fenêtre additionnelle donnant sur le moment vécu par l’artiste, une brèche dans le virtuel. Par le déroulement de la page qui suit une progression dans le paysage représenté, l’auditoire déambule avec l’artiste. À l’imprévu des forêts propose une lecture sensible et méditative de la flânerie en forêt, lieu aux vies multiples.
L’œuvre d’Ariane Plante partage la page avec Oliviers et cyprès, une huile sur toile de Jeanne Rhéaume réalisée en 1956. Dans une touche libre, Rhéaume présente la vue d’un parc au centre duquel se tisse un chemin invitant. Le ciel et les arbres sont peints avec une rapidité d’exécution évoquant la captation d’un moment instantané. Les couleurs utilisées sont sobres et peu nombreuses. Seule la présence du sentier et d’un muret qui le suit évoque la présence humaine. Ces éléments structurent la perspective du paysage et soulignent la délicate cohabitation entre la nature et la vie humaine. En appui à l’œuvre de Plante, Oliviers et cyprès revisite les thèmes premièrement évoqués de la captation d’un moment, de la promenade et de la nature urbaine.
L’exposition se poursuit avec Tender light d’Ingrid Tremblay, une vidéo sans trame sonore. On y voit un plan fixe de la forêt où peu de mouvements se font sentir, à l’exception de l’occasionnel balancement des branches et du soleil qui descend lentement. En plein centre de ce plan fixe est superposée une image du même lieu, presque parfaitement alignée à l’image du fond. Son rendu est différent, plus lumineux. Par son agitation, elle détonne du cadre fixe et paisible créé par l’image sous-jacente. Au premier regard, on y voit un collage, une manipulation vidéo. Une seconde observation nous laisse comprendre que l’image centrale est en fait la projection d’une captation vidéo de ce même espace. Saisie plus tôt dans la journée, le soleil y dessine un motif d’ombrage au sol qui n’apparait pas dans l’image de fond. La vidéo projetée est accélérée pour accentuer la dichotomie avec la forêt qui se trouve au deuxième plan. Ce manège visuel provoque une mise en abyme casse-tête du lieu et de l’écran. Tender light propose une version virtuelle d’un lieu en lui-même. Cette expérimentation ludique induit une réflexion sur la manière de recevoir (ou de cadrer) la nature ainsi que sur l’altération de la réalité par l’écran.
En réponse à cette œuvre où le métalangage est roi, la sérigraphie Lord Byron’s Wishing Garden, créée par Jennifer Dickson en 1975, permet un moment de repos. Avec sa représentation bleutée d’un jardin français, c’est par ses qualités formelles plutôt que conceptuelles qu’elle dialogue avec l’œuvre de Tremblay. Les feuillages lumineux ainsi que le traitement des couleurs créent un rappel visuel de la projection au cœur de Tender light. Les textures organiques, mises de l’avant par le médium sérigraphique, agissent presque comme un arrêt sur l’image de la vidéo. Ces deux œuvres coexistent en harmonie dans l’espace numérique par leur agencement esthétique.
Dans le parcours virtuel du Mont-Royal qu’elle propose, la commissaire Catherine Barnabé réussit à créer une lecture multiple de ce lieu bien connu. En plus de souligner la poésie inhérente à la forêt, l’exposition Cadrer la nature évoque les paradoxes intrinsèques à la diffusion et l’appréciation d’œuvres d’art en ligne, tout en démontrant les possibilités de dialogues entre des œuvres d’essences et d’époques différentes. Visitez gratuitement cette captivante exposition ici : https://www.centre-expo-udem.com/cadrer-la-nature
Article écrit par Léa Martin