Le tout dernier recueil de poésie de Roxane Desjardins est arrivé chez moi au fond d’un janvier au soleil timide. Une fois entre mes mains, le livre a attiré mon attention comme une luciole dans de la pénombre : la tension entre le titre sombre et les lueurs orangées de l’œuvre de Meredith Smallwood trahit l’intention de la poète. Trou noir se veut d’emblée une réponse, une main tendue, au regard de l’être aimé qui pèse.
Après Ciseaux (2014) et Le revers (2018), Trou noir, paru le 21 février 2023 aux Herbes rouges, poursuit le souffle méditatif de la poète, cette fois avec davantage de légèreté. Sans doute parce que plusieurs consciences soutiennent les poèmes, alternant entre le je, le tu et le nous. Chaque poème, pour la plupart longs et pourvus d’un titre, se déroule à la manière d’une lettre. Le rythme de lecture coule comme des chuchotements, les images sont prononcées en confessions. On écoute ce qui voudrait être tu, comme l’annonce la quatrième de couverture : « Enfin la question se dissout, je parle assez, j’ai fait fuir la question, je ne m’adresse plus qu’à vous qui m’ouvrez votre cœur. »
L’instance du « je » connait très bien sa douleur. Les sentiments, devenus objets tangibles, sont tendus au·à la lecteur·rice: « Dans le piège / bien délimité / de mon corps, / mes travers, fourbes, / douloureux, sont rangés / et te guettent[1] ». Les vers sont courts et imprégnés de conscience ; ce qui est avoué se suffit. La parole éclot dans la pénombre de la psyché qui accueille le poème : ce qui a été accumulé dans le silence donne lieu à cette densité qui évite habilement l’opacité grâce à l’impression d’ouverture qui traverse le recueil.
La prise de parole elle-même représente le centre gravitationnel de Trou noir : la force exigée pour parler incite le·la lecteur·rice à tourner les pages, à découvrir la subtilité de cette force. Des fragments de sincérité brillent comme de la vitre dans la blessure exprimée dans les poèmes : « Je voudrais ne plus penser, / être une joie brusque / qui se déporte de corps en corps, […] / et puis non[2] ». La narratrice fuit, ne se révèle que dans la clarté pénétrante particulière à son style. Ainsi, c’est en se faisant complice de la lumière que le·la lecteur·rice saisit le sens du poème.
Roxane Desjardins reconnait que l’intertextualité parcourt son recueil : « L’intertextualité est un événement incontrôlable qui se passe quelque part dans la gorge[3]. » J’ai cru apercevoir deux chansons de Fiona Apple, Paper Bag à la page 74 et Every Single Night à la page 112. Par exemple, « The rib is the shell and the heart is the yolk / And I just made a meal for us both to choke on[4] » dans Every Single Night ressemble à « Elle se mit debout / sa peine en cage / son cœur un œuf dur[5] ». Il faut cependant admettre que le dialogue est sourd chez Apple, ce qui n’est manifestement pas le cas dans Trou noir.
Enfin, si la poète se recueille dans Trou noir, la lecture qui lui est due doit être le miroir de son geste.
[1] Roxane Desjardins, Trou noir, Montréal, Les Herbes rouges, 2023, p. 50.
[2] Ibid., p. 92.
[3] Ibid., p. 141.
[4] Fiona Apple, « Every Single Night », dans The Idler Wheel Is Wiser Than the Driver of the Screw and Whipping Chords Will Serve You More Than Ropes Will Ever Do, [enregistrement sonore], New York City, Epic Records, 18 juin 2012.
[5] Roxane Desjardins, Trou noir, op. cit., p. 112.
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Desjardins, Roxane, Trou noir, Montréal, Les Herbes rouges, 2023, 152 p.
Article rédigé par Mathilde Pelletier