Au-delà des bottes de cowboy. Un coin du ciel de Myriam Jacob-Allard

Comment l’image de la mère est-elle perçue dans la culture country québécoise? C’est cette question que s’est posée Myriam Jacob-Allard, étudiante…
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Comment l’image de la mère est-elle perçue dans la culture country québécoise? C’est cette question que s’est posée Myriam Jacob-Allard, étudiante à la maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM, dans Un coin du ciel, sa toute première exposition solo composée d’installations multidisciplinaires et qui était présentée jusqu’au 4 octobre dernier à la Galerie de l’UQAM

C’est d’abord en s’aventurant dans une salle à l’éclairage tamisé que le visiteur pouvait pénétrer l’univers finement élaboré par Myriam Jacob-Allard; tout de suite, son regard était attiré par une myriade de petites boîtes lumineuses. À l’intérieur de chacune de ces boîtes, lesquelles sont accrochées de façon disparate à deux murs contiguës de la galerie, une lampe clignotante fait apparaître par intermittence les différents messages qui y ont été gravés en transparence. Ceux-ci présentent des témoignages de membres de la famille Jacob (celle de l’artiste) qui expriment leur amour et leur tendresse envers leur mère. D’une boîte à l’autre, le visiteur a l’occasion de lire de nombreuses pensées, parfois rassurantes, sur le confort du logis maternel par exemple, mais parfois aussi plus inquiétantes, sur le départ éventuel de la mère vers la mort…

Un_coin_du_ciel_CreditL.-P. Cote
Crédits photographiques : L-P Côté

En trame sonore, la voix de Jacob-Allard se fait entendre en provenance d’une vidéo projetée sur le mur central de la salle d’exposition. Celle-ci montre la jeune femme chantant en boucle un air country, Un coin du ciel, qui donne ainsi son titre à l’exposition. Malgré ses apparences anodines, le choix de cette chanson est justifié par le lien qui l’unit à une autre vidéo, présentée cette fois-ci à l’aide d’un téléviseur posé au sol. L’artiste y explique en effet que Un coin du ciel est le titre d’un album de la célèbre chanteuse country québécoise Renée Martel sorti l’année de sa naissance, en 1981.

Myriam Jacob-Allard
Extrait vidéo

La seconde vidéo se poursuit par une série d’entrevues et d’images qui ont été faites lors de rassemblements familiaux et qui démontrent toute l’importance de la musique country dans la vie de la famille Jacob, de même que dans celle de l’artiste. La grand-mère y explique notamment la façon dont cette musique lui rappelle les histoires de sa jeunesse vécue pendant la Seconde Guerre mondiale et comment, ensuite, cet amour musical a été transmis à sa fille. De plus, cet attachement pour la musique de Willie Lamothe, de Marie King et de Marcel Martel (le père de Renée) s’incarne dans la collection de disques vinyles que la famille a soigneusement accumulée au courant des années et qui sera d’ailleurs léguée à Myriam Jacob-Allard. Ce même legs familial est présenté sur un des murs de la salle par un échantillon de pochettes de disques provenant de la fameuse collection. Ainsi, des titres comme Derniers mots pour maman et Cœur de maman, rappellent une fois de plus le thème de la présence maternelle et montrent la place privilégiée prise par la mère dans le monde familial et dans la culture country. C’est un peu comme si, en sélectionnant ces albums parmi tous ceux de la collection, Jacob-Allard souhaitait révéler à quel point sa famille avait fait sienne, à travers leur collection, l’image mythique de la mère véhiculée par cette culture.

Le thème de l’oralité s’impose dans cette exposition: que ce soit à travers la forme de la chanson ou de l’entrevue, celle-ci donne le rythme et contribue à rendre l’ensemble à la fois honnête et touchant. En parlant d’une voix spontanée, les membres de la famille Jacob racontent leur attachement pour la musique country. Puis, à la manière d’une anthropologue, Myriam Jacob-Allard révèle à son tour à partir de ces témoignages toute l’importance des relations intergénérationnelles, et particulièrement de celle qui se tisse entre une mère et une fille. L’évocation de ces liens familiaux a, pour ainsi dire, le mérite de démystifier les textes des chansons country dans lesquelles la mère est présentée comme un mythe idéalisé. De cette façon, Jacob-Allard pousse la réflexion à un niveau plus fécond, réussissant à créer un lien entre le «personnel» et le «collectif», c’est-à-dire entre la petite histoire familiale et la construction d’une culture populaire. En permettant à ces deux pôles de dialoguer, Un coin du ciel acquiert une grande profondeur humaine et résiste du même coup à certains stéréotypes peu flatteurs souvent entretenus autour de la culture country – pensons entre autres aux bottes de cowboy, aux concours de rodéo ou au coloré Festival Western de Saint-Tite.

À l’aide de fragments d’histoires vécues, Myriam Jacob-Allard concrétise sa réflexion artistique en s’appuyant sur des expériences humaines. Ainsi, en tissant des liens forts entre l’intimité familiale et les airs d’une musique populaire, Un coin du ciel dépasse les clichés pour donner en partage un monde bien réel auquel tous peuvent s’identifier.

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L’exposition Un coin du ciel de Myriam Jacob-Allard était présentée à la Galerie de l’UQÀM jusqu’au 4 octobre.

Article par Jérémie Dubé-Lavigne. Après avoir suivi des études en photographie au Cégep du Vieux-Montréal pour ensuite entreprendre un baccalauréat en histoire de l’art à l’UQÀM, Jérémie marie la pratique et la théorie pour ainsi maximiser toutes expériences visuelles quelles qu’elles soient.

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