C’était la 34e édition du Festival international du film sur l’art (FIFA). En bibitte curieuse que je suis, j’ai décidé de tasser l’art de la scène pour aller voir un film qui parle… de théâtre. Comprenons-nous bien, mon cours de cinéma du cégep est loin derrière et je n’ai pas la prétention de pouvoir critiquer un film. Nous ne traitons pas de la forme, mais du contenu.
Jean-Claude Coulbois est le réalisateur de Nous autres, les autres. Troisième d’une trilogie, l’œuvre fut précédée des productions Un miroir sur la scène (1997) et Mort subite d’un homme théâtre (2012 – un hommage à Robert Gravel). Son dernier film tente de déterminer si le théâtre est encore un reflet de la société, des débats publics et de ce qui se fait ici. Qui suis-je face à la collectivité? Le multiculturalisme influence nécessairement la pratique théâtrale. Nos scènes sont-elles trop blanches? Comment s’intégrer lorsque l’on n’est pas un «Québécois de souche »?
Le film montre différents artistes qui traitent de l’immigration. Il s’ouvre avec un extrait du spectacle Polyglotte (2015) d’Olivier Choinière. Huit immigrants (non-acteurs) étaient conviés à un examen de citoyenneté canadienne. L’une des comédiennes interrogées habite au Canada depuis un moment déjà. Elle considère son expérience scénique comme une découverte du fossé culturel qui existe entre elle et ce pays. Dans l’extrait, on voit une comédienne guidée par une voix qui rappelle « Big Brother » et qui dépose sa main sur une feuille d’érable projetée sur le mur qui s’ouvre et qui lui donne accès à ce magnifique pays. Welcome to Canada !

Pour enchaîner, Mani Soleymanlou. Évidemment, avec sa création Trois (2011-2014), sa contribution à l’œuvre cinématographique était nécessaire. Questionnement sur l’identité, la trilogie Un, Deux et Trois est autobiographique, mais parle aussi aux exilés, aux orphelins identitaires et aux immigrants. En entrevue avec Coulbois, le créateur raconte une partie de son séjour à l’École Nationale de Théâtre (ÉNT). Par exemple, dans un cours d’improvisation, on demandait de faire une improvisation à la manière de Ricardo Trogi. L’accent québécois doit être imité impeccablement sinon, les places sont très minces pour le nouvel acteur dans nos théâtres.

Il n’est pas le seul dans son cas, Jean-Claude Coulbois réussit à faire une belle liaison avec le directeur artistique de la compagnie des Trois Tristes Tigres : Olivier Kemeid. Ce dernier raconte une anecdote savoureuse. Lorsqu’il était à l’ÉNT, il eut une discussion avec André Brassard, qui lui a confié être déçu que le jeune québécois aux racines égyptien n’ait pas vécu la guerre. Ce à quoi Kemeid répond simplement : l’Égypte est aussi loin de moi que de toi. C’est lors de ses études que ses origines refont surface et créent un bouleversement artistique. Tout en ayant peur de se morceler, il décide de nourrir son écriture de ce flou identitaire qui devient un moteur de création.
Par la suite, c’est le comédien Sasha Samar qui est à l’écran qui performe dans extrait du spectacle Moi dans les ruines rouges du siècle (2013) mis en scène par Kemeid.

Fiction biographique de l’artiste, Samar et Kemeid se rencontrent trois fois par semaine dans un café pour qu’ils se parlent de leur histoire. Pour raconter sa vie d’acteur étranger, Sasha Samar avait besoin d’un auteur à l’identité québécoise, mais aux racines d’ailleurs, qui sait comment théâtraliser l’histoire en respectant la sensibilité que l’immigré transporte. L’idée directrice : rebâtir une vie dans des ruines ou des décombres. La pièce a remporté le prix de la critique de l’Association québécoise des critiques de théâtre la même année. Les commentaires reçus par l’ukrainien d’origine suggèrent que l’histoire est facilement transposable au Québec. Le public a un sentiment d’appartenance face à la pièce. Sasha Samar répond : « Nous sommes tous à la recherche de notre mère et tout autour de nous, c’est le bordel ».
Le montage entrecoupe les différents extraits de magnifiques images de Montréal. Plusieurs d’entre elles montrent le fleuve. Pour le réalisateur, Montréal est à la croisée de plusieurs chemins et il envisage même, en idéalisant, une séparation entre la métropole et le Québec. Sortez les rames.
Le tout était suivi d’une discussion avec le réalisateur. Voici deux questions qui ont été posées.
Q : Qu’avez-vous fait des paroles de femmes dans votre œuvre?
R : Je ne porte pas les lunettes de la politique des quotas.
Brièvement, il nous explique qu’il a découvert le film en le faisant. Il laisse même glisser qu’il y a des gens qui ne devraient même pas se retrouver dans son film. On trouve la réponse brève et rapide. Cela étant dit, il n’est pas nécessaire d’extrapoler. C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de paroles féminines dans le film, mais ce n’est pas intentionnel. Le réalisateur s’est laissé guider par ses différentes entrevues et a rencontré un noyau d’artistes qui traitent de l’identité au théâtre. S’il y a un débalancement de la présence des sexes dans le documentaire, c’est la place des femmes dans le milieu du théâtre qui est problématique et le film ne choisit pas de prendre cet axe d’analyse.
Q : Le problème, c’est que votre œuvre est montréalocentriste, les pièces ne circulent pas en région. D’où venez-vous ?
R : De Paris. Noël 68, pour lui, c’est les premières rencontres qui sont déterminantes comme la sienne avec les Belles-Sœurs de Tremblay. Il prend comme exemple les relations qui se créent avec les gens comme la rencontre entre Kemeid/Samar ou Choinière et les acteurs non professionnels. Aucune réponse à la question qui était plus un commentaire.
Il nous explique que son projet lui a fait découvrir que la prise de paroles des artistes affichés est, finalement, un devoir de citoyen. La spectatrice n’a pas reçu de réponse à son commentaire qui semblait une attaque. Encore une fois, il est bien de se questionner sur un autre enjeu théâtral : l’exportation en région. Le film ne peut pas se faire défenseur de tous les problèmes du milieu théâtral, il se concentrait donc principalement de l’identité raciale.
En fin de compte, Jean-Claude Coulbois nous dit qu’il considère que ce nouveau vent théâtral apporte une vitalité au théâtre québécois identitaire. Quand les Québécois parlent d’eux-mêmes, ils ont tendance à inclure du fatalisme ou du nombrilisme. Il prend pour exemple l’œuvre de Gaston Miron qu’il considère d’un désespoir total. Le réalisateur se lie aux paroles d’Olivier Kemeid et appuie le fait que ces nouveaux venus utilisent le flou identitaire comme un moteur, une richesse et non pas comme une résignation.
Nous autres, les autres a reçu le prix FIFA 34e édition de la meilleure œuvre canadienne ex aequo avec le film Un homme de danse https://artichautmag.com/vincent-warren-homme-de-danse-fifa/ de Marie Brodeur.
Article par Steave Ruel. Étudiant en Études Théâtrales, j’aime ce qui est acerbe, irrévérencieux, satirique, ironique, sarcastique et cathartique. Tout ça pis manger.