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15-05-2025 Vol 19

Un homme de danse, au FIFA. Un documentaire sur Vincent Warren

C’est dans son appartement montréalais, où il vit depuis maintenant 47 ans, que le danseur de ballet Vincent Warren reçoit la réalisatrice Marie Brodeur pour parler de sa carrière au sein des grands ballets canadiens, mais surtout de son amour pour la danse. Le documentaire « Un homme de danse » était présenté en première mondiale à l’occasion de la 34e édition Festival International du Film sur l’Art (FIFA) où il a remporté le Prix de la Meilleure œuvre canadienne (ex-aequo).

Vincent Warren est né en Floride à la fin des années trente. Dans ce documentaire biographique, il évoque son riche parcours artistique, de New York à Montréal, son travail avec les chorégraphes Ludmilla Chiriaeff et Martha Graham ou encore le Groupe de la Place Royale et Paul André Fortier. Aujourd’hui bilingue et complètement intégré dans la culture québécoise, il présente sa perception de l’art de la danse d’hier à aujourd’hui, plus spécifiquement du ballet.

Il s’intéresse tout jeune, au ballet et collectionne tout ce qu’il peut sur le sujet. Avec son salaire de camelot, il se paye ses premiers cours dans une école de ballet où il est le seul garçon durant quelques années. Très rapidement, après avoir reçu une bourse d’étude et être allé étudier à New York, il trouve un emploi au Metropolitan Opera. Néanmoins, sa polyvalence et son vif intérêt pour d’autres formes de danse le mène à participer à plusieurs projets produits à la Judson Church Theater. Ce lieu mythique de la danse postmoderne des années soixante était plutôt délabré, se rappelle-t-il en souriant, « on s’amusait, il y avait beaucoup de créativité et de nouvelles choses, on réinventait le mouvement ». Les interprètes dansent à même le sol, sans scène (plateau) ou tapis. Cette nouvelle danse est généralement très minimaliste, elle intègre beaucoup de mouvements quotidiens, comme la marche et tient à tout prix à se distinguer du ballet, considéré comme traditionnel et rigide. Malgré tout, toute sa vie durant, Warren collaborera avec la scène contemporaine à plusieurs occasions.

À l’âge de 21 ans, à l’époque où l’homosexualité est encore illégale aux États-Unis et au Canada, il fait la connaissance de l’amour de sa vie, Frank O’Hara, poète américain qui décède subitement et tragiquement quelques années plus tard. Comme celui-ci est aussi commissaire au musée d’art moderne de New York, Warren fait la rencontre de plusieurs artistes à l’époque de l’expressionnisme abstrait et s’immerge donc dans ce qui devient la nouvelle capitale artistique mondiale.

Avec beaucoup d’émotion, Warren raconte que son deuil difficile le fit pourtant murir comme artiste. « Dire que ma vraie carrière artistique a commencé à sa mort est horrible, mais c’est un peu vrai. J’avais une tristesse à partager. Je suis passé d’un OK dancer, à un artiste qui a vécu. » Ses partenaires ou collègues affirment qu’il possède une admirable présence, une théâtralité singulière et une force prodigieuse, ce qui fit de lui un danseur reconnu et admiré.

C’est aussi à cette période qu’il accepte son premier contrat aux Grands Ballets Canadiens à Montréal (GBC). Les GBC connaissent alors un déploiement rayonnant. En plus d’être diffusé à la télévision de Radio Canada jusqu’à quatre fois par semaine, se faisant ainsi connaitre d’un plus large public, la compagnie devient une compagnie résidente de la Place des arts, lors de son ouverture en 1963. Suite à l’Expo 67 de Montréal, le spectacle Tommy, sur la musique de The Who, est créé et connait un succès fulgurant qui confirme la réputation internationale des GBC. Par la suite, la compagnie crée le ballet Tam di Delam sur la musique de Gilles Vigneault avec des costumes folkloriques, les Québécois cherchent de nouvelles formes d’affirmation identitaire. Warren est un danseur étoile vedette, mais s’intéresse aussi à la scène contemporaine montréalaise. Il collabore à plusieurs créations du Groupe de la Place Royale dirigées par Jeanne Renaud. Il apprend également le français et prend ainsi part à la contreculture québécoise.

À l’âge de 40 ans, à son apogée artistique, Warren prend sa retraite officielle et devient enseignant à l’école supérieure de ballet de Montréal. Il fait quelques apparitions dans les projets du chorégraphe Paul André Fortier, participe à la constitution du Regroupement québécois de la danse (RQD), avec Gaetan Patenaude et surtout, perfectionne sa culture intellectuelle à travers son étude de la danse indienne et, ravivant son instinct de collectionneur, par une acquisition sans bornes de livres, d’œuvres et d’archives sur la danse. Passionné d’histoire de la danse, c’est grâce à ses multiples collections que Vincent Warren permet de mettre sur pied la bibliothèque montréalaise qui porte son nom, et qui niche au sein même de l’école supérieure de ballet de Montréal sur la rue Saint-Denis. Elle est aujourd’hui la plus grande bibliothèque de livres spécialisés en danse au Canada avec plus de 26 000 documents.

Pour ce danseur, professeur et intellectuel, l’art et la beauté sont essentiels à la vie et c’est fondamentalement ce qu’il désire continuer à partager. À diverses reprises au cours du documentaire, il insiste sur l’idée que les danseurs sont trop souvent perçus comme des acteurs d’un divertissement. Cependant, la carrière d’un danseur est exigeante et sollicite de sa part une implication, une persévérance et un travail considérable tout en offrant malheureusement des emplois extrêmement précaires.


— Un homme de danse, documentaire écrit et réalisé par Marie Brodeur, était présenté au festival international du film sur l’art 2016.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM