Par souci d’inclusivité, le terme « femme » utilisé dans le texte traite des femmes au sens large et non seulement des femmes cis. Il désigne chaque personne qui s’identifie au genre.
Paru le 27 août dernier, Folles Frues Fortes est un collectif de textes de fiction féministes dirigé par Marie Demers chez Tête Première dans le cadre de leur nouvelle collection Tête dure qu’elle pilotera également. Composé de plusieurs textes émanant d’écrivaines québécoises telles Martine Delvaux, Marie-Sissi Labrèche et Catherine Mavrikakis, pour ne nommer que celles-ci, l’ouvrage aborde dans l’urgence les trois termes qui forment le titre, en dénonçant la façon dont folles, frues, et fortes sont utilisés pour amoindrir et discréditer les femmes dans toutes les sphères de notre société.
Le collectif est, à l’instar du titre, divisé en trois parties: Folles, Frues et Fortes dans lesquelles de magnifiques textes explorent chacun de ces thèmes.
La première partie est composée des textes de Marjolaine Beauchamp, Katheryne Raymond, Marie-Sissi Labrèche et Marie Demers. Chacune présente sa vision du mot folle utilisé à outrance par les hommes pour déconstruire les émotions des femmes afin de mieux les contrôler en les discréditant comme étant irrationnelles, illogiques et incontrôlables. Ce terme est surutilisé afin de laisser croire aux femmes que leurs sentiments sont faux et illégitimes. Minimiser les sentiments d’un individu est un outil de manipulation et de contrôle très puissant. En effet, certains individus usent de leur pouvoir en dictant aux autres ce qu’il est souhaitable d’éprouver et leur imposant ainsi une façon d’agir conséquente.
Ici, les femmes décident de se réapproprier le mot et de le porter avec fierté, tel une médaille, en démontrant ainsi une vie intérieure féroce, vraie et légitime : «Tchekez ben ça, j’vas faire un texte sur la malhonnêteté des hommes/Pis à partir de là comme d’habitude y va y avoir du chiâlage/du bruit de chiâlage/on n’entendra pas vraiment c’que j’ai à dire/pis on va conclure d’avance que…/J’t’une crisse de folle/So be it/Ben oui chus folle asti/[…]» (p.15) Toujours dans cette partie du recueil, les écrivaines démontrent que même si elles jouent le jeu, en choisissant de s’amoindrir pour conforter les hommes de leur entourage, elles ne gagneront jamais parce que les règles du jeu n’ont jamais été créées par souci d’égalitarisme. Ainsi, il vaut mieux être folle, que passive et dominée :
«À avoir voulu parler digne, je n’ai rien dit. Alors que je n’aurais pas dû prétendre, pas dû jouer. On pourra penser que je l’ai bien cherché. L’institution, l’intelligence, ce type de reconnaissance n’existe pas, pas pour les femmes, ne sert à rien, sinon à donner l’illusion de. Parler propre et obéir. S’inventer toute une langue en cul-de-poule qui nous aurait rendus égaux. Il n’y avait rien à gagner, pas même une partie nulle. Être femme. J’aurais plutôt dû admettre que j’étais chienne, chienne trop savante, à abattre. Et au moins, pouvoir mordre.» (p. 29)
La deuxième partie, Frues, se construit autour des textes de Marie-Ève Sévigny, Fanie Demeule et Martine Delvaux. Les auteures abordent ici le sujet de la féministe-frustrée, la femme tellement en colère qu’elle n’est plus en mesure d’être rationnelle, compétente et digne d’être écoutée. Cette partie constitue la pierre angulaire du projet : les textes sont percutants, émouvants, voire enrageants. Les écrivaines démontrent avec passion que nous devrions tou.te.s être enragé.e.s contre ce système qui ne tient pas compte des femmes et qui véhicule plutôt une perception restrictive, amoindrissante et arriérée du vivre-ensemble. Cette vision passe à travers les lunettes «des hommes blancs, riches, en position de pouvoir» (p.108) qui assurent la longévité et la survivance des injustices.
La majorité des textes de cette deuxième partie sont ancrés dans le climat du #metoo, en mettant de l’avant le courage des femmes qui ont eu la force de dénoncer, de pointer du doigt des années de comportements toxiques d’hommes en position d’autorité. Ces textes prouvent que le qualificatif de frustré, qui est accolé aux femmes pour les convaincre que leur colère est injustifiée, est tout simplement aberrant. Nous devrions tou.te.s nous insurger contre le fait que les victimes ne sont pas entendues et les hommes qui croient qu’ils peuvent s’en sortir, peu importe l’ampleur des gestes commis :
«Oui, mes chéries, je crains bien que nous soyons toutes complètement folles. Folles de vouloir exister, de vouloir rester en vie. Folles de rappeler notre droit à l’intégrité du corps et de l’esprit. Folles de revendiquer les mêmes prérogatives que ceux qui nous souhaitent assises bien sagement dans l’attente de leur bon plaisir. «It’s a very scary time for young men in America», a déclaré le président américain à la suite du témoignage de la courageuse Christine Blasey Ford. Ce président, prédateur en chef de l’angry white men’s free world, et qui s’en vante. Rien de plus terrifiant en effet pour les lâches qu’une femme qui se tient debout.» (p. 80)
Cette partie du recueil dénonce judicieusement un des aspects les plus insidieux de notre société patriarcale, tout en venant montrer comment les femmes qui décident de dénoncer certaines de ces actions monstrueuses sont souvent punies sur la place publique.
La troisième et dernière partie, Fortes, est formée des textes de Maude Lafleur, Marjolaine Beauchamp, Catherine Mavrikakis et Marie Demers. Ici, les récits s’ancrent dans des histoires atroces qui mettent de l’avant des femmes maltraitées par des hommes et qui décident de ne plus se laisser abattre, de ne plus se laisser définir par les actes horribles qu’elles ont subis. Elles choisissent plutôt de les utiliser comme force et énergie afin de mieux transcender le pouvoir patriarcal et la masculinité toxique, pour l’enrayer et la démolir, en définitive, de l’intérieur. Qu’il s’agisse de l’histoire de celle qui s’est fait battre par son père sous le regard complaisant et passif de sa mère, de celle qui a été violée et intoxiquée a grande dose de GHB, celle qui a réussi à échapper aux griffes de son prédateur, cette partie du recueil permet de sentir et d’illustrer les formes de cette violence. Ainsi, cette partie essentielle du recueil permet de comprendre comment elle peut prendre vie, comment elle est insidieuse et, toutefois, omniprésente dans notre société.
Folles Frues Fortes est un collectif nécessaire, urgent, écrit par des femmes d’ici, talentueuses, intelligentes et magnifiques. Cette œuvre réussit avec folie, frustration, mais surtout avec une force inébranlable, à refuser l’emploi de ces termes utilisés pour amoindrir les femmes et à renverser la propension de la société à transformer les forces féminines en faiblesse. Ce collectif s’adresse à tous ceux et celles qui croient que la lutte est terminé et que l’égalité a été atteinte. Il s’agit d’un rappel que ces violences existent, qu’elles sont encore bien présentes dans le quotidien des femmes et qu’elles sont impardonnables. Il faut continuer à dénoncer, à combattre et à prendre position. Cet ouvrage est la preuve ultime que le meilleur moyen de le faire, la façon la plus majestueuse, la plus poétique, la plus politique est de le faire ensemble.
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Folles frues fortes, collectif sous la direction de Marie Demers, Tête première, collection Tête dure, Montréal, 200 pages.
Article réalisé par Vincent Gauthier, étudiant à la maîtrise en études littéraires et présentement en train de rédiger son mémoire sur les œuvres Bluets et The Argonauts de l’écrivaine Maggie Nelson.