Ich will nur du liebst mich : Frantz de François Ozon

Quedlinburg, 1919. Crépuscule de la Première Guerre mondiale. Anna (Paula Beer) partage le deuil de son fiancé Frantz (Anton von…
1 Min Read 0 69

Quedlinburg, 1919. Crépuscule de la Première Guerre mondiale. Anna (Paula Beer) partage le deuil de son fiancé Frantz (Anton von Lucke) avec ses beaux-parents, Doktor Hans Hoffmeister et son épouse Magda (respectivement Ernst Stötzner et Marie Gruber) dans une Allemagne villageoise et éclopée. Adrien ((Pierre Niney), un jeune soldat français en quête d’absolution, s’infiltre dans leur vie. Leurrant ses hôtes d’une tromperie candide quant au motif de sa venue, il ravivera d’illusion la catatonie de leur deuil. Ou disons simplement que la rédemption de certains coûtera l’humiliation à d’autres.

Le cinéaste français François Ozon frappe cette fois avec Frantz, une adaptation cynique de la pièce L’Homme que j’ai tué (1925) par Maurice Rostand, aussi librement inspirée par le film Broken Lullaby (1932) d’Ernst Lubitsch. À la différence de la source littéraire et de l’interprétation cinématographique d’origine, ce mélodrame habite le point de vue de la jeune femme esseulée plutôt que la perspective du vétéran. L’attrait d’Ozon pour un scénario aussi tragique n’étonnera pas quiconque s’estime familier avec son œuvre cinématographique. Si la filmographie vastement éparpillée de ce réalisateur le rend complexe à catégoriser, on peut toutefois y observer un intérêt soutenu pour l’ironie derrière la vulnérabilité des passions humaines. Cette rhétorique du pied de nez qui s’affiche depuis ses premiers courts-métrages porte aussi Frantz, aux dépens de l’efficacité d’un mélodrame qui n’émeut que froidement.

Frantz – François Ozon (© Métropole Films Distribution)

À un recours systématique et maîtrisé aux codes du genre, succède un détournement. Le cinéaste choisit d’y affirmer l’ironie du tragique plutôt que de céder au lyrisme entendu du mélodrame jusqu’au bout. Un soin raffiné se trouve en effet accordé à invoquer l’empathie dans les deux premiers actes, comme à en désamorcer le potentiel larmoyant dans le troisième. Les protagonistes, fidèles à leur mandat d’origine, incarnent trois cas de figure pathétiques qui se rencontrent, s’entrechoquent, puis s’isolent. D’abord Adrien, un militaire français angoissé en terre antagoniste allemande, victime de la guerre sans visage comme de sa propre sensibilité, dissimule les réels motifs de sa visite par une lâcheté plus tard pardonnée qu’il scellera d’une union malheureuse. Ensuite les parents de Frantz, dont le chagrin palpable du début se transfigurera plus tard en une naïve consolation. Enfin Anna, la fiancée dépitée par la mort, présentée d’abord dans un ascétisme sans lendemain, goûte enfin à un soubresaut d’espérance alors que le charme du vivant destitue le défunt. Comme le veut le genre du mélodrame, chacun encaisse sa juste part de tourmente, violons en sursis. Cependant, le choix de privilégier la perspective du personnage crédule puis désenchanté qu’incarne Anna indique la volonté d’Ozon d’apposer sa marque d’auteur. Il dote ce faisant une histoire racontée maintes fois d’un regard inédit qui s’inscrit dans sa démarche certes hétérogène mais souvent narquoise.

La mise en scène qui restitue certains codes du genre en détourne d’autres, campe le tout dans un environnement à l’ambiance hermétique et construite d’un film visiblement tourné en studio. Le montage sonore autoritaire donne à entendre l’écriture du scénario, par des bruissements de feuilles, des claquements de portes emphatiques, et des accords de violons saccadés qui ponctuent l’angoisse ambiante. Cette théâtralité référentielle à l’aune du cinéma parlant, époque de production du film de Lubitsch, se manifeste aussi dans la narration. Opérant à partir du regard crédule d’Anna, Ozon se permet de tordre une trame narrative autrement linéaire, afin d’instiguer un effet de surprise à l’éveil des intentions d’abord masquées d’Adrien. Ce film majoritairement monochrome s’en trouve truffé de séquences subjectives, à coup de flashbacks et de moments imaginés, qui adoptent la sensibilité vulnérable de la fiancée déçue. L’ironie atteint son comble lorsque certaines scènes où l’espoir écarte finalement le deuil s’approprient la palette du tableau Le Suicidé d’Édouard Manet, un motif récurrent du film. Les personnages émancipés de l’affliction qui les réunissaient jusqu’alors se rassemblent dans de brefs élans de légèreté. Leur animation soudaine soulignée par des tons froids et désaturés apparait en contraste avec la gravité ambiante autrement maintenue par le noir et blanc. Ce travail photographique éclatant de finesse inspirera sans doute. On assiste rarement à une cohabitation symbolique aussi réussie de la couleur et du monochrome.

Frantz – François Ozon (© Métropole Films Distribution)

Frantz s’impose comme un exercice de style réussi qui plaira à une majorité, sans toutefois déployer le concert de sanglots ravalés qui s’impose parfois dans la pénombre de l’expérience cinéma. Au cynisme insistant s’ajoute un trop-plein de mots et de plans, qui intervient souvent à des moments où un silence soutenu et un montage plus austère serviraient mieux les ressorts du mélodrame. Ce montage habile à refouler l’émoi dévoile quelques bémols dans la cohérence narrative. On notera peut-être, par exemple, une polarité improbable entre le comportement revêche puis soudainement paternel que manifeste Hans à l’endroit d’Adrien. Le troisième acte, qui devait pourtant souligner l’embourbement sentimental et l’humiliation d’Anna, s’impose en boulet de longueur que la scène finale sauvera heureusement.

Plutôt que de choir dans un lyrisme écœurant, voire tout simplement une sentimentalité appuyée, Ozon célèbre le pathétique des sentiments humains avec une fin ouverte et fataliste. Ce mélodrame maîtrisé, instrumental à un maniérisme imparfait, déploie un cynisme investi dont le dénouement manque toutefois de poigne. Si l’impact ironique se voit réduit de cette faiblesse, le traitement cinématographique accompli assure à Frantz une place distinguée dans le firmament hélas surpeuplé du détournement de genre.

Frantz de François Ozon est sorti en salle le 7 avril.

Article par Fani Claire.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM