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15-05-2025 Vol 19

Cauchemars d’enfants. Les démons de Philippe Lesage

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div align= »justify »>Nos démons intérieurs, ceux qui nous habitent malgré la pensée rationnelle, sont sournois et insidieux. On ne les voit pas toujours venir, à l’instar du drame qui se dessine au cœur du film de Philippe Lesage, Les démons.

Le réalisateur, qui signe ici son deuxième long-métrage de fiction – son premier étant le film choral Copenhague-A Love Story tourné en 2014 au Danemark – a très bien su cerner les schémas psychologiques propres à l’enfance. Il place d’ailleurs sa caméra à hauteur d’enfant et nous fait voir le cours des jours à travers le regard inquiet et suspicieux de Félix, le personnage principal du film.

Félix (Édouard Tremblay-Grenier) est un jeune garçon d’une dizaine d’années pour qui la vie se bouscule à la porte, apportant avec elle son lot de surprises, de bouleversements, de découvertes et de questionnements. Si l’adolescence est une période de chamboulements hormonaux et de premières expériences, l’enfance est un concentré d’apprivoisement social et environnemental. On est témoin sans tout comprendre. On ressent les choses mais on ne peut se les expliquer.

les démons

Cadet d’une famille de trois enfants, Félix a la chance d’avoir une sœur et un frère sur qui il peut compter. Si sa famille aisée habite dans une banlieue sans histoire, elle n’est pas pour autant à l’abri des intempéries et des menaces extérieures, à en croire Félix du moins. Et la clé du scénario de Lesage réside peut-être dans cette approche, dans le fait que le spectateur n’a d’autre choix que de se fier aux intuitions, parfois trompeuses, du jeune garçon. Même lorsque le personnage de Félix est absent d’une scène, la trame narrative adopte un point de vue qui pourrait s’apparenter à celui d’un enfant, à quelques exceptions près.

Ayant fait ses classes à l’école du documentaire (récipiendaire d’un Jutra en 2010 pour Ce cœur qui bat), Philippe Lesage filme les enfants, les personnages centraux des Démons, selon la même optique. Privilégiant un ton hyperréaliste, il capte des situations fictives certes, mais qui paraissent si vraies. C’est à se demander comment il s’y est pris pour diriger des groupes d’acteurs, pour la grande majorité non-professionnels et dont c’est la première expérience à l’écran, de façon à en arriver avec des images aussi authentiques.

Invité à répondre aux questions du public à la suite de la dernière projection du film dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, Lesage a avoué avoir congédié la personne responsable du coaching des enfants sur le plateau au bout de la première semaine de tournage, puisqu’il avait réalisé qu’il n’avait pas besoin de ses services. Il a préféré ainsi diriger les jeunes acteurs et figurants en les incitant à se fier à leur instinct, à aborder les scènes comme des segments de la vie de tous les jours. Et le résultat est troublant de réalisme.

Les Démons, Philippe Lesage

Les démons est un long-métrage qui fait sa marque dans notre esprit. Que ce soit pour la performance toute en subtilité et en retenue du jeune Édouard Tremblay-Grenier, ou pour celle toute en nuances du très surprenant Pier-Luc Funk, les images restent et s’agrippent à notre mémoire. Avec des plans-séquences qui laissent les scènes s’installer et prendre d’assaut les points pivots du récit, Philippe Lesage a habilement mis en scène un scénario qui comportait pourtant des risques sur le plan narratif. Il a évité les pièges des codes préétablis (ceux des films d’horreur entre autres) et a misé sur un réalisme qui s’avère beaucoup plus angoissant que ne le laisse présager la prémisse du film.

Lesage nous offre une des belles surprises de la saison automnale, et certainement un des long-métrages québécois les plus déstabilisants depuis le début de l’année. À voir absolument.

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Les démons (2015) de Philippe Lesage, en nomination pour «Meilleur film» et «Meilleure réalisation» au 18e gala du cinéma québécois.

Article par Gabriel Parent Jutras.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM