C’est avec finesse et douceur que Yara El-Ghadban, romancière et anthropologue[1] d’origine palestinienne nous offre sa plus récente création, La danse des flamants roses, parue en août dernier chez Mémoire d’encrier. Fidèle à ses préoccupations sur les questions identitaires et à son appel constant pour le vivre-ensemble, Yara El-Ghadban nous partage un monde où la violence n’a pas sa place.
La danse des flamants roses brosse le portrait d’une Palestine aux prises avec un mal touchant toutes les communautés qui y vivent, une maladie dérivant de la nature : la maladie du sel. Sans préavis, la mer Morte s’évapore soudainement, ne laissant qu’une terre salée derrière elle. L’eau disparaît et le vent disperse le sel. Ce dernier est propulsé aux quatre coins de la vallée et s’attache aux corps des habitant·e·s, s’y installe, décimant ainsi des centaines de personnes. Un mur installé par le gouvernement dans le but de freiner la propagation de la maladie sépare colon·e·s et colonisé·e·s. Les contaminé·e·s sont abandonné·e·s de l’autre côté du mur, condamné·e·s, sans ressources pour s’en sortir :
La vallée a été mise en quarantaine – la maladie avançait. Le mur jouait son rôle de grand séparateur, disait ma mère. Le mur qui divisait peuples, lieux, corps, plantes, animaux. Le mur qui désignait colons et colonisés. Le mur qui vantait aux vainqueurs la victoire. Le mur qui rappelait aux vaincus tout ce qu’ils avaient perdu[2].
Les survivant·e·s ont trouvé une nouvelle façon de vivre, une forme de coexistence leur permettant de laisser derrière eux le climat de haine et de violence constant amené par la guerre. Colon·e·s, colonisé·e·s, soldat·e·s, artistes, tous·tes se mélangent et apprennent à dialoguer, à communiquer, à écouter. Laissé·e·s à elleux-mêmes, iels doivent apprendre à vivre dans une nature aride, sans eau, une terre qui finira par les transformer, par les guérir.
Le récit est raconté à la première personne par nul autre que le protagoniste lui-même, Alef, premier enfant né dans la vallée après l’évaporation de la mer Morte, fils d’une Palestinienne et d’un Israélien. Premier enfant flamant, Alef, comme tous·tes les autres survivant·e·s, vit en symbiose avec les flamants roses et les autres espèces vivantes présentes de l’autre côté du mur : « C’est alors qu’est apparue dans la vallée une colonie de flamants roses, se nourrissant dans ce qui reste des eaux saumâtres de la mer Morte. […] À force de les regarder vivre, nous avons appris à vivre comme les flamants[3] ». Il n’y a plus de séparation entre humains, animaux et végétaux, tous se réunissent sous la même appellation et parlent la même langue, la langue des « vivants ». Profondément connectés, ces vivants créent un équilibre dans ce monde utopique où la communication est essentielle et où aucune hiérarchie ne subsiste. Tous occupent une place importante, il n’y a plus de colon·e·s ni de colonisé·e·s, le peuple du sel œuvre pour le bien commun dans un respect mutuel, s’attachant à solidifier ce nouveau « chez soi » où chacun a le droit à la parole, où tout jugement est proscrit.
Profondément touchante, l’écriture de Yara El-Ghadban est un espace de réconciliation, de dialogue insufflant un vent d’espoir. Ce monde utopique, où la Palestine n’est plus synonyme de guerre, nous permet de croire en un avenir florissant pour le pays déchiré par une colonisation sans fin : « La danse des flamants roses est né d’une question : Et si la Palestine offrait la seule utopie possible ?[4] » À travers un récit où se mélangent poésie et prose, l’autrice permet à la Palestine de parler pour elle et éveille les consciences en proposant un imaginaire sans limites. En hommage au poète palestinien Refaat Alareer, assassiné à Gaza par les bombes israéliennes, et aux milliers de Palestinien·e·s tué·e·s, ce roman est sa manière de répandre l’espoir, à l’image du poème de Alareer If I must die, hymne à l’humanité : « Comprendre sans nommer sans posséder est une danse. Alors nous dansons dansons dansons la danse des flamants[5] ».
[1] Mémoire d’encrier, Yara El-Ghadban, en ligne, https://memoiredencrier.com/auteurs/yara-el-ghadban/, consulté le 15 septembre 2024.
[2] Yara El-Ghadban, La danse des flamants roses, Mémoire d’encrier, Montréal, 2024, p. 19.
[3] Christian Desmeules, « “La danse des flamants roses”: le sel de la terre », en ligne, https://www.ledevoir.com/lire/818272/danse-flamants-roses-sel-terre, Le Devoir, consulté le 15 septembre 2024.
[4] Mémoire d’encrier, La danse des flamants roses, en ligne, https://memoiredencrier.com/auteurs/yara-el-ghadban/, consulté le 15 septembre 2024.
[5] Yara El-Ghadban, « avant-propos », dans La danse des flamants roses, Mémoire d’encrier, Montréal, 2024, 281 p.
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Yara El-Ghadban, La danse des flamants roses, Mémoire d’encrier, Montréal, 2024, 281 p.
Article rédigé par Leila Arab