L’horreur en second plan. Son of Saul, de László Nemes

Pour rendre un drame plus poignant, il est toujours préférable de choisir un point d’ancrage à mi-chemin entre son sujet…
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Pour rendre un drame plus poignant, il est toujours préférable de choisir un point d’ancrage à mi-chemin entre son sujet et le spectateur. Son of Saul nous place justement au premier rang d’une expérience singulière en choisissant comme point de vue celui d’un homme, pris au coeur du drame historique et humain : les camps de concentration. Le réalisateur le fait cependant en évitant les pièges habituels du holocaust movie hollywoodien.

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Lorsque le sujet d’un drame touche à certains sujets spécifiques, il faut redoubler de vigilance. Les handicaps physiques ou mentaux, le viol, l’avortement, la guerre ainsi que l’holocauste, sont des drapeaux rouges pour un réalisateur. Il se doit de faire particulièrement attention, puisque les cordes de la manipulation cinématographique peuvent être si grosses et si évidentes qu’elles peuvent facilement faire tomber son film dans la facilité, l’exploitation ou le manichéisme. Son of Saul contourne ce problème en nous offrant une perspective si nouvelle et spécifique sur la Seconde Guerre mondiale, qu’il nous permet de fréquenter et de vivre l’horreur, sans pour autant la souligner à gros traits. Ce faisant, il renouvelle un genre que chacun croyait condamné aux clichés.

Géza Röhrig interprète le rôle-titre, celui de Saul, un juif travaillant au sein d’un Sonderkommandos, une troupe de prisonniers en charge de faire une bonne partie des tâches ingrates à l’intérieur des camps d’extermination, aux portes des chambres à gaz. À travers de longs plans qui cadrent presque exclusivement notre protagoniste de la tête aux épaules, nous ne voyons jamais explicitement ce qui se déroule en ces lieux. La caméra préfère garder au foyer celui qui habite les coulisses de l’horreur. Nos notions d’histoire, ainsi que quelques indices relatifs au contexte sont suffisants pour pleinement faire ressentir la situation. En suggérant sans montrer, le réalisateur fait curieusement preuve de pudeur et de retenue au milieu de l’horreur, évitant le spectaculaire : on pense à la Schindler’s List, de Spielberg, avec ses tableaux d’ensemble, ses longs travelling ou sa musique appuyée.

C’est avec cette caméra espionne, timide d’information, que le film accomplit sa plus grande réussite. Les réalités de l’époque sont des faits documentés de nos jours, et le public a parfaitement conscience du microcosme qu’étaient les camps de concentration. Le cinéaste, László Nemes, ne ressent jamais le besoin de nous mettre le visage dans cette réalité ; et pourtant, c’est elle que nous regardons sans trop la voir en face, du début à la fin. Il fait preuve de maturité et d’intelligence en concentrant son attention exclusivement sur l’expérience d’un homme aux prises, regard caméra, avec ce difficile contexte.

Malgré la performance puissante de retenue de Röhrig, la légère faiblesse du film se retrouve dans ce personnage avec qui nous passons tant de temps. Le scénario nous offre très peu d’informations pour comprendre ses motivations et délègue énormément de responsabilités à son acteur principal. Ainsi, considérant la nature plus abstraite de ce qui le fait avancer (il ressent le besoin d’offrir à un enfant, que Saul insiste être son fils, des funérailles religieuses appropriées), il est parfois plus difficile de pleinement se mettre dans la peau de cet homme. Malgré ces quelques moments, l’ensemble de l’œuvre reste magistrale et unique, constituant un rare tour de force.


Son of Saul, un film de László Nemes, au cinéma depuis le 15 janvier 2016.

Article par Olivier Maltais – J’écoute des films et des fois j’écrit, des fois ces deux activités concordent. J’ai un baccalauréat en une de ces deux activités.

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