Théâtre et hypocrisie. Le carrousel de Jennifer Tremblay

Voilà une chose bien étrange que le milieu théâtral québécois. Ces trois dernières années, j’aurai été aux premières loges pour…
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Voilà une chose bien étrange que le milieu théâtral québécois. Ces trois dernières années, j’aurai été aux premières loges pour l’observer sans réellement en faire partie. Car aller au théâtre n’implique pas seulement la rencontre du public avec une œuvre. Fréquenter les salles de théâtre, c’est aussi rencontrer d’autres membres d’un public, jouir parfois d’une improbable symbiose de récepteur, plus souvent subir les réactions contraires aux vôtres. De cette opposition (qui parfois se mue en confrontation) peut naître un dialogue pertinent sur l’art, permettre d’affiner nos interprétations et d’intégrer à notre compréhension des éléments jusqu’alors restés inaccessibles. Pour que ce processus s’enclenche, un seul critère est nécessaire : l’honnêteté. Or, il m’apparaît de plus en plus clairement que c’est une vertu qui fait parfois défaut à une partie de tout ce beau monde.

Sylvie Drapeau (Crédit photo: Valérie Remise)
Sylvie Drapeau (Crédit photo: Valérie Remise)

J’admets volontiers la subjectivité qui gouverne nos impressions. Cette subjectivité ne devrait toutefois pas nous empêcher de reconnaître un échec quand on en voit un. La très grande majorité de ce qui est présenté à Montréal force l’admiration ou du moins mérite d’être discutée. Une infime minorité nous fait regretter de s’être déplacé. Le carrousel, présenté ces jours-ci au Théâtre d’Aujourd’hui, fait malheureusement partie de ce triste cortège. La première, à laquelle j’ai assisté, avait de quoi laisser perplexe. Il fallait voir le Tout-Montréal applaudir à tout rompre cet objet théâtral décousu et banal, quatre fois plutôt qu’une et debout par-dessus le marché. Dans le hall, les congratulations fusaient, sourires figés à l’appui. Soit je ne comprends rien au théâtre, soit l’hypocrisie a fait bien des disciples.

Moi qui d’ordinaire adore tout ce que touche Patrice Dubois, je n’ai cette fois d’autre choix que d’admettre que quelque chose, quelque part, a très mal tourné dans l’élaboration de ce projet. Peut-être est-ce la matière première qui lui a d’abord fait défaut, puisque le second volet de la trilogie Mères de Jennifer Tremblay paru aux Éditions de la Bagnole ne passionne ni par son propos et encore moins par sa forme. Récit fragmenté, intimiste et impressionniste sur la filiation et la condition de mère, Le carrousel se perd dans ses propres méandres, n’arrive pas à ériger une progression capable de soutenir l’intérêt et ne frappe pas par sa qualité littéraire ou l’originalité de sa thématique. Sylvie Drapeau récite son long monologue comme une incantation dépourvue de couleur et de vérité. Dès son entrée, on la sent absente, de corps comme d’esprit. La mise en scène de Dubois ne fait rien pour améliorer les choses, aussi statique que dépourvue d’inventivité.

Sylvie Drapeau (Crédit photo: Valérie Remise)
Sylvie Drapeau (Crédit photo: Valérie Remise)

Du côté technique, on doit procéder au même constat. Si produire la bande sonore depuis la scène grâce à un musicien (Jasmin Cloutier) semble une bonne idée, on s’explique mal le choix de le cacher derrière le grand voile blanc brodé qui sépare horizontalement l’entièreté de la scène. On s’étonne encore plus d’entendre la musique dissoudre des pans entiers du texte dans des pointes sonores inutiles. Les éclairages d’Alexandre Pilon-Guay paraissent aussi banals que le reste, sans compter les instants où des projecteurs sont braqués à des lieux de l’action, sans raison apparente. Tous ces éléments mis ensemble contribuent à allonger miraculeusement l’heure de représentation, jusqu’à ce que l’on se prenne progressivement d’intérêt pour les murs latéraux. Comment, à ce compte, ne pas être consterné par l’accueil chaleureux (et unanime) qu’a réservé la critique à un tel spectacle? Est-il possible qu’il soit devenu impossible de dire du mal d’un trio formé d’aussi grosses pointures? Poser la question, c’est un peu comme y répondre.

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Le carrousel de Jennifer Tremblay, présenté du 14 janvier au 8 février 2014 au Théâtre d’Aujourd’hui. M.E.S. Patrice Dubois.

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.