Du 16 au 19 novembre s’est tenu l’évènement Fluidité du genre, Du stéréotypes à l’icône : transcender les masculinités chez Tangente, premier lieu dédié à l’art de la danse dans la métropole montréalaise. Au cœur de la Place des Arts, Tangente met de l’avant les chorégraphes et les artistes des « terres d’oppressions ». Avec son éclectisme et son dévouement pour l’art progressiste en tous genres, il va sans dire que Fluidité des genres s’harmonise impeccablement avec la mission de ce lieu culturel par l’inventivité et la prise de risques que ces danseurs ont su prendre. Axé sur la promotion et la découverte de nouveaux chorégraphes, Tangente nous a permis de découvrir de nouveaux talents sur la scène artistique.

Crédit: Juanel Casseus
Comme on lui proposait une performance double, le spectateur a eu accès au travail de deux chorégraphes de la relève : Manuel Shink et Sébastien Provencher. Pour sa part, Shink a étudié à l’École de danse contemporaine de Montréal et il danse avec plusieurs compagnies sur le globe. Il nous présente La Mécanique des dessous, une courte performance de vingt-cinq minutes pour laquelle il est à la fois le créateur et l’interprète. Dans celle-ci, il allie espace, narration et ambiance sous l’influence du butô, danse japonaise au corps obscur. Cette danse aux caractères sociopolitiques visait davantage une performance introspective où la lenteur et le minimalisme étaient les clés. Il nous transporte dans son univers queerisé. Il tente de défier le binarisme homme-femme et veut en diverger. Est-il normal s’il porte la barbe et chevauche des talons aiguilles ? Quels sont alors les codes normatifs à respecter ? Lors de sa performance, Shink danse avec de larges tissus qu’il transforme en robes. Voulant se vêtir de celles-ci, on remarque qu’il affiche une certaine réticence, presque du dégout. La relation ambigüe qu’il entretient avec elles laisse croire qu’il s’agirait d’une transgression trop audacieuse. C’est alors qu’au beau milieu de la performance, il se met à narrer quelques mots du fameux conte pour enfants Le Petit Chaperon Rouge. Il revêt ensuite une cape rouge qu’il embrase de façon ardente, faisant ainsi référence au méchant loup et à sa fourberie. On peut facilement faire une comparaison entre le loup et la société contemporaine. Le chaperon rouge doté d’une barbe saura-t-il s’affranchir des stéréotypes véhiculés dans la société ? Vu les thèmes abordés dans la performance, il va sans dire que l’interprétation de Manuel Shink a suscité chez le spectateur de puissantes émotions. Le chorégraphe a su faire écho au titre de l’œuvre en évoquant comment fonctionnent véritablement l’envers du décor des genres et de leur réception sociale.
Sébastien Provencher nous présente, quant à lui, sa création intitulée Children of Chemistry, performance composée de cinq danseurs pour laquelle le diplômé d’un baccalauréat en danse contemporaine de l’UQAM a reçu la bourse Prix Coup de Cœur du Public au festival Quartier Danses en 2015. Sa pratique artistique se consacre à la notion du genre, aux contextes sociopolitiques et à l’interdisciplinarité. Children of Chemistry est une danse-performance voulant montrer les rituels sportifs des athlètes ainsi que le monde dans lequel ces derniers évoluent. Cette œuvre se compose de quatre segments distincts. Le spectateur a droit à du voguing new-yorkais ; à un défilé de mode aux stéréotypes presque trop virils se terminant par l’apparition d’une licorne au pénis exhibé ; à un match de football hors du commun et, finalement, à une orgie sentimentale et théâtrale. D’abord, les cinq danseurs entament leur danse-performance sur un tempo très lent en exécutant des mouvements appartenant au voguing. Avec une précision impeccable, les danseurs nous initient à cette forme de danse se caractérisant par la « pose-mannequin », écho au magasine Vogue. Cette danse a été pratiquée et popularisée à New York dans les bars gay dans les années 1960-1970. Alors que la vitesse d’exécution augmente, la scène se transforme en catwalk et les hommes se mettent à défiler le torse nu, en uniforme d’armée ou en sous-vêtement, affichant plusieurs styles qui évoquent le stéréotype de l’homme beau, fort et hétérosexuel. C’est alors que l’un des hommes arrive sur scène en arborant un masque de licorne. Son pénis est exposé. Le défilé prend dès lors une tout autre tournure. Délaissant les habits traditionnellement masculins, les hommes défilent en robes ou en maillots de bain féminins, avec comme accessoire des sacs à main. Cette référence fait probablement écho à Bob The DragQueen, gagnante de Ru Paul’s Drag Race et à sa phrase signature : Purse first. Le défilé aux allures viriles perd ainsi son sens et les danseurs commencent à voguer nu et strike the pose. Par la suite, les danseurs nous quittent pour un bref moment afin de se vêtir d’un accoutrement rappelant celui d’un joueur de football. Le masque de licorne devient subitement un ballon, se faisant lancer autant sur la scène que dans la salle. À travers ces passes, on remarque une certaine proximité entre les danseurs qui s’encouragent et commencent à s’entrainer de façon sensuelle.

Crédit: Justine Latour
Avec cette scène de football, la performance devient très humoristique, mais également ironique. En présentant cinq hommes queer et nus jouant avec un ballon à corne dans la salle et se touchant de façon antisportive prouve l’ironie et s’attaque aux stéréotypes de la virilité imagée par le football. Les athlètes hétérosexuels se dénudent-ils ainsi ? Sont-ils aussi aguichants entre eux ? Surement pas. La déconstruction de cette pratique sportive montre le rapport étrange qu’entretiennent les agents sociaux avec la conception traditionnelle des genres ainsi que le concept de masculinité. Finalement, les danseurs se calment tour à tour avant de s’immobiliser au centre de la scène. Sous les lumières tamisées, les hommes commencent à se toucher langoureusement en formant ce qui s’apparente à un caucus d’équipe. Toutefois, cette formation rappelle plutôt une orgie aux traits sensuels. En mettant en scène un tel caucus aux allures provocatrices, Provencher parvient à créer une prestation poignante. L’énergie qui anime le groupe d’homme est transcendante. Un discours très radical portant sur le rapport liant l’homme et virilité émane de la performance. Comment la masculinité est-elle perçue aujourd’hui ? Quels sont les codes qui la prescrivent ? L’homme peut-il s’en émanciper ?
Fluidité du genre, Du stéréotypes à l’icône : transcender les masculinités était présenté chez Tangente du 16 au 19 novembre 2017.
Article par Pierre-Olivier Marinier Leseize.