La semaine dernière, je suis allé me promener du côté du Cégep Gérald Godin, dans l’Ouest de l’île de Montréal. Il y avait un colloque organisé à l’occasion du 75e anniversaire de naissance de Godin. J’aurais aimé n’avoir à vous parler que du célèbre député-poète, que les conférences de Jacques Pelletier et de Pierre Nepveu, notamment, m’ont permis de mieux connaître.
Je vous aurais parlé, par exemple, de sa participation durant les années soixante à la revue indépendantiste et socialiste Parti pris, et à la maison d’édition du même nom. J’aurais pu aborder la question de l’engagement des auteurs de cette mouvance artistique à laquelle Godin adhérait. J’aurais parlé de leur utilisation politique du joual, symptôme de l’aliénation coloniale de tout un peuple, que ces écrivains décidaient d’exposer dans leurs œuvres pour dénoncer une situation socio-politique intolérable et révoltante. Les aspirations révolutionnaires (appuyées sur la théorie du «socialisme décolonisateur» énoncée par Berque, Fanon et Memmi) à l’origine de la revue auraient évidemment été incontournables. Puis, il aurait fallu expliquer le tiraillement des collaborateurs de Parti pris entre accorder la priorité à l’indépendance ou plutôt au socialisme, enjeu qui a fait l’objet d’importants débats au sein de la revue et qui a précipité sa fin, lorsque le Mouvement Souveraineté-Association (ancêtre du Parti Québécois) a vu le jour et a cherché à rallier les indépendantistes de gauche comme de droite (voie qu’a finalement empruntée Gérald Godin aux élections de 1976 en battant Robert Bourassa dans Mercier). J’aurais sans doute terminé en me penchant sur l’héritage, autant littéraire que politique, que Godin nous a laissé. Une importante démocratisation de la poésie aurait pu être constatée sous sa plume, si bien que Pierre Nepveu est tenté d’inscrire dans cette filiation un poète comme Patrice Desbiens, par exemple. Au plan politique, c’est sa proximité avec le peuple et son approche par rapport à l’intégration des minorités ethniques qui retiennent surtout l’attention.
En somme, mes quelques heures passées au Cégep Gérald Godin la semaine dernière visaient, entre autres, à me permettre de vous entretenir sur ce politicien-poète; telle était du moins mon intention lorsque j’ai décidé de m’y rendre. C’était avant d’assister à la conférence de l’ancien premier ministre péquiste Jacques Parizeau, invité à témoigner de sa relation avec son ancien collègue et ami. Comme Parizeau est celui qui avait pris la décision audacieuse, à l’époque où il était premier ministre, d’établir un Cégep francophone dans l’Ouest de Montréal (en territoire anglophone), il était logique qu’il fasse parti des conférenciers. Toutefois (au risque de laisser libre cours à ce que certains pourraient qualifier de mauvaise foi), j’ai l’impression que, bien que Parizeau n’ait plus le poids qu’il a déjà eu, il a tendance à vouloir prendre encore beaucoup de place dans l’espace public. En gros, peut-être aime-t-il un peu trop l’attention médiatique qu’il suscite, et c’est ce qui l’aura porté à faire ombrage à l’homme qui était célébré le 15 novembre dernier et à attirer tous les projecteurs sur sa propre personne en commentant encore une fois la charte de la laïcité proposée par le gouvernement (des propos qui ont d’ailleurs été diffusés à la radio et à la télévision de Radio-Canada).
Certains diront sans doute que j’exagère et que toutes les tribunes sont bonnes pour débattre d’enjeux de société. Soit. Mais se revendiquer, de façon pas tellement subtile, de la pensée de Godin pour promouvoir sa position sur la charte de la laïcité ne m’a pas semblé des plus élégant. L’homme est mort depuis 1994. Et s’il est vrai qu’il rêvait certainement d’un Québec accueillant, auquel les immigrants s’intégreraient aisément tout en conservant certaines particularités culturelles de leur pays d’origine, il n’est pas dit qu’il encenserait aveuglément le multiculturalisme actuel, dont on constate peu à peu les effets: favorisant le communautarisme davantage que l’intégration et produisant des tensions sociales observables dans plusieurs pays occidentaux. N’oublions pas que Godin a été formé à l’école de Parti pris, dont la révolution globale au programme reposait sur ces trois piliers: l’indépendance du Québec, le socialisme et la LAÏCITÉ.
Par ailleurs, il me semble que lorsqu’on prend position publiquement dans un débat de société aussi sensible et polarisé que celui de la charte, surtout lorsqu’on s’appelle Jacques Parizeau, la moindre des choses serait de présenter des arguments comportant une certaine consistance. Le premier argument que l’ancien premier ministre nous propose de nous mettre sous la dent pour rejeter la charte de la laïcité est que le Québec n’a jamais légiféré en matière de religion. Ainsi, parce que nous n’avons jamais fait quelque chose, nous ne devrions pas le faire. Je vous laisse apprécier le fondement logique de cette affirmation. De façon très diplomatique, une femme dans l’assistance pose une question à monsieur Parizeau: «Parce qu’on n’a jamais légiféré sur les religions, ce serait une grande première. J’ai envie de vous amener peut-être un peu plus loin là-dessus. On n’a jamais légiféré parce que ça ne nous a jamais tant que ça dérangé. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de nouveau dans le paysage religieux international qui est une espèce de forte poussée de l’intégrisme, qui n’était pas là avant, et est-ce que ça peut changer la façon de voir les choses à un certain moment?» Sur ce point, Parizeau concède que l’intégrisme islamique peut représenter une menace, que par ailleurs tout le monde perçoit. Il admet que certaines manifestations de cet intégrisme sont scandaleuses, comme de voir «des petites filles de six ou sept ans porter le voile» ou encore «qu’on égorge sur le Mont-Saint-Grégoire deux cents moutons comme on l’a fait il y a quinze jours, sans aucune espèce d’inspection de l’opération, en violation de toutes les lois du pays». Selon lui, il ne faut pas accepter ces «manifestions d’extrémisme, qui ne cadrent pas avec la société dans laquelle on veut vivre». Il faudrait donc prendre des mesures pour contrer ce genre de choses, mais Parizeau refuse cependant qu’on commence par s’en prendre au foulard. D’autant plus, et voilà l’argument suprême, qu’elles ne seraient que cent-cinquante femmes voilées environ à travailler dans les garderies, cinq cents au total dans toute la fonction publique québécoise. «Qu’on commence par ça! Pas vraiment rapport avec l’extrémisme», selon lui. Donc, si je comprends bien, il faudrait attendre qu’elles soient plus nombreuses, disons au moins quelques milliers, pour qu’il vaille la peine de légiférer. Tout à fait logique! attendons que le cas de Verdun soit plus répandu avant de nous pencher là-dessus. Quant à savoir si le fait d’égorger des moutons sur le Mont Saint-Grégoire est une plus grande manifestation d’extrémisme que le port du voile, il faudrait peut-être demander à celles des femmes musulmanes qui se sentent opprimées par cette religion ce qu’elles trouvent pire entre être contraintes de manger de la nourriture halal ou être forcées de porter le voile.
Article par Dominic Auger – Chroniqueur pour l’Artichaut, Dominic Auger est également étudiant à la maîtrise en études littéraires. Il en est revenu d’étancher sa soif à coups de tempêtes désertiques, sa quête se portera mieux vers un devenir collectif.