Dimanche soir, j’ai eu l’impression de voir une vieille dame qui avait glissé, était tombée en plein milieu de la rue, devant tout le monde, et peinait à se relever. Le genre de situation où vous êtes spontanément porté à vous précipiter à la rescousse de l’infortunée avant qu’elle ne soit écrabouillée par un dix roues. Pourtant, cette fois, aucun élan. Rien qu’un certain plaisir sadique à la regarder patiner pour essayer de s’en sortir. Le dix roues, c’était Patrick Lagacé; la dame, Denise Bombardier.
Il fallait la voir à Tout le monde en parle tenter de sauver son éthos, alors que Lagacé la tarabustait ferme à propos d’un passage plagié par la coauteure de son avant-dernier livre, Ne vous taisez plus! « Vous avez fait un doctorat à La Sorbonne, vous savez c’est quoi du plagiat », d’objecter Lagacé à son déni.
C’est précisément parce que son éthos (sa légitimité de parole, son autorité [1]) est fondé en grande partie sur sa rigueur intellectuelle que cette accusation porte si durement et que madame Bombardier tente désespérément depuis dimanche de sauver la face sur d’autres tribunes en essayant de masquer l’affaire. Il faudra pourtant davantage que les crèmes antirides dont elle fait la promotion dans son nouveau livre, Vieillir avec grâce, pour redorer son image éthique.
Mais pourquoi s’acharner indéfiniment sur ce cas? Patrick Lagacé ne s’est-il pas suffisamment chargé de condamner la faute?
Loin de moi l’idée de me poser en grand défenseur de l’intégrité intellectuelle. Du reste, ce billet n’est pas seulement une occasion de jouir momentanément d’une petite revanche contre une représentante de la droite bien-pensante qui a causé tant de dommages idéologiques au printemps dernier lorsqu’elle fustigeait les carrés rouges et leur mouvement dans ses chroniques au Devoir (maintenant, elle s’évertue, dans Le Journal de Montréal, à défendre les malheureux recteurs qui doivent comparaître au sommet de l’éducation « Charbonneau »). C’est qu’elle constitue un anti-éthos idéal à partir duquel construire mon propre éthos et me permet ainsi d’expérimenter la forme et la rhétorique qui caractérisent le genre de la chronique.
Lorsqu’il a été question pour moi de commencer à produire une chronique pour l’Artichaut, je me suis interrogé sur ce genre hybride, entre le littéraire et le journalistique; aussi, je me suis demandé comment il pouvait s’exercer dans le contexte d’une revue étudiante universitaire.
Selon Jean-Marie Schaeffer, dans Pourquoi la fiction (je lève mon chapeau aux courageux qui ont réussi à traverser entièrement cet ouvrage), le mimétisme constitue pour nous le processus d’apprentissage le plus important. J’ai donc entrepris de me chercher un modèle dans le paysage culturel québécois.
Rapidement, les premiers qui me venaient en tête : Foglia, Martineau, Duhaime… Je blague, j’ai tout de suite éliminé les deux derniers. Aucun besoin de me justifier là-dessus, je présume. Quant à Foglia, la lecture du chapitre « Pelletier, Foglia et les pédagogues », dans La souveraineté rampante de Jean Larose, m’a fait hésiter à faire de lui mon gourou. Selon Larose, « [p]our dresser le vrai monde contre l’intellectuel, et contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à un intellectuel, Pierre Foglia n’a pas son pareil ». En gros, il reproche à celui-ci d’être populiste et, dans le but de faire « vendre de la copie », d’utiliser une « langue volontairement saucée dans la graisse de bine […] langue délibérément plus peuple que celle du peuple ». Merdre, je n’aurais peut-être pas dû écrire « écrabouiller par un dix roues »!
Sans doute qu’en me tournant du côté des chroniqueurs du Devoir j’aurais plus de chance de trouver un modèle qui se veut plus intello, mais, après avoir lu quelques chroniques de Denise Bombardier, j’ai réalisé que, côté démagogie, elle ne donne pas sa place (tout compte fait, elle est mieux au Journal de Montréal).
J’ai alors pensé à Stéphane Dompierre. Il vient tout juste de publier un recueil de ses chroniques (Fâché noir, Québec Amérique, 2013). J’en ai lu quelques-unes sur le web. Il me semble que la qualité première de ses chroniques soit la séduction. Peut-être est-ce ce qui dérange Michel Vézina, qui s’en prend à son bon ami dans une des siennes sur le site montrealexpress.ca : « J’ai lu, au fur et à mesure, quelques-unes des chroniques de Stéphane. J’ai souri quelques fois, mais n’ai jamais été transcendé, jamais eu l’impression que c’était un genre où mon ami excellait. » J’ai réalisé ainsi que la prise de position, surtout l’opposition, était inhérente au genre de la chronique. C’est ce qui permet, entre autres, à l’auteur de mettre en relief sa subjectivité (de forger son éthos), qui suscite l’assentiment du lecteur, ou non. C’est précisément là que le populisme le guette, car il cherche la connivence avec son lecteur.
Selon Michel Vézina, « la chronique a ses règles qui, si elles ne sont pas figées dans une définition, n’en existent pas moins. Il faut amuser, instruire, se moquer sans trop de méchanceté : un peu d’acide et un peu de sucre ». Pour cette raison, sans doute, s’il décide dans une chronique d’encenser une œuvre, un mouvement, des artistes…, il prendra bien soin en contrepartie d’en décrier d’autres. C’est ce qu’il fait notamment dans celle du 27 mars 2012 où il vante les mérites de la revue étudiante Fermaille, après avoir critiqué la forme d’une vidéo militante contre la hausse des frais de scolarité.
Parlant de Fermaille, comme j’y signe un texte, je suis allé mercredi au lancement de l’anthologie de la revue. Chacun des textes qu’elle contient déborde d’une émotion brutale, qui s’est sublimée tout au long de la grève étudiante de 2012 dans cet « expiratoire de création ». À travers la poésie qui s’y déploie, on peut suivre à la trace l’évolution de cette crise historique qui a secoué le Québec l’an dernier. La contribution de l’École de la Montagne Rouge est également à signaler. Au cœur de l’Anthologie, on retrouve une sélection des affiches les plus marquantes qui ont nourri la contestation en images durant les mois de lutte. Témoignage exceptionnel, et d’une éloquence grave, du travail accompli.
[1] Pour en apprendre davantage sur l’ethos, notion issue de la Rhétorique d’Aristote, voir l’excellent ouvrage de Ruth Amossy, La présentation de soi. Ethos et identité verbale, Paris, PUF, 2010.
Article par Dominic Auger.