Si les films alarmistes ont surabondé le genre documentaire depuis le début du 21e siècle, Surviving Progress, qui prenait l’affiche vendredi dernier, se démarque dans le genre. Certes, il s’agit d’un autre appel à une meilleure utilisation/distribution des ressources, mais l’angle abordé par les cinéastes Mathieu Roy et Harold Crooks (The Corporation) offre une perspective beaucoup plus globale du problème. S’inspirant du best-seller A Short History of Progress de l’essayiste canadien Ronald Wright, le film s’interroge sur les fondements mêmes des comportements destructifs de l’être humain. Reprenant le concept des progress traps (littéralement, piège du progrès) présenté dans le livre, cette théorie soutient que l’homme se laisse dépasser par ses propres innovations. À l’image de l’être primitif chassant jusqu’à l’extinction le mammouth dont il se nourrit, l’homme moderne consomme aveuglément ses ressources. Le cerveau humain étant demeuré sensiblement inchangé depuis l’ancêtre Cro-Magnon, les mêmes erreurs se répètent continuellement.
Les ressemblances avec l’essai de Ronald Wright s’arrêtent ici. Le film entame alors un discours dénonçant le néo-colonialisme libéral et les excès du capitalisme. Pour ce faire, le duo de réalisateurs fait appel à de nombreux intervenants comme David Suzuki, Stephen Hawkins ou encore Margaret Atwood. De plus, le documentaire voyage jusqu’en Chine et en Amérique du Sud pour rencontrer des travailleurs directement influencés par l’évolution du marché mondial.
D’un point de vue cinématographique, Surviving Progress se distingue des documentaires conventionnels. Des séquences purement esthétiques rythment le montage et permettent ainsi au propos de mieux respirer. Par exemple, plusieurs plans de la vie urbaine tournés en accéléré, à la manière du film Koyaanisqatsi, se glissent parfois entre deux interventions. La densité des informations transmises étant lourde par moment, ces entractes visuels viennent alléger le contenu. De plus, la direction photo lors de ces plans est digne des plus grandes œuvres de fiction. Une simple image montrant un hibou déployer ses ailes au ralenti est rendue de façon spectaculaire. Toujours sur le plan formel, la bande sonore de Surviving Progress étonne par son originalité. Une musique atmosphérique, normalement associée encore une fois aux films de fiction, accompagne le discours. Notons la contribution de l’artiste canadien Patrick Watson sur plusieurs morceaux composés pour le documentaire.
Par contre, certains choix au niveau de la superposition audiovisuelle manquent de finesse. La réalisation tombe parfois dans le gros cliché, comme lors de la scène illustrant des hommes d’affaires de Wall Street qui s’agitent tels des singes, tout en produisant les mêmes cris que ceux-ci. Le film aurait gagné à éviter ce type de procédé qui cherche à amplifier un propos déjà suffisamment appuyé par ses intervenants. Malgré ces quelques accrocs, Surviving Progress n’a rien à envier aux 11th Hour, An Inconvenient Truth ou encore Zeitgeist : Moving Forward qui l’ont précédé. À l’heure où les crises économiques et environnementales se multiplient, l’œuvre de Mathieu Roy et Harold Crooks offre une perspective enrichissante, originale dans son approche, sur une problématique toujours brûlante d’actualité.
Article par Francis Dufresne.