Avec Hum, l’écrivaine Natalia Hero signe sa toute première novella et nous démontre une sensibilité hors du commun. Le livre, paru en septembre dernier chez Metatron Press, témoigne du savoir-faire d’une auteure qui sait jouer dans les subtilités et les nuances. Encore un bon coup pour l’éditeur qui fait vibrer la scène littéraire anglophone depuis maintenant quatre ans.
Hum raconte un après, l’après d’une agression sexuelle qui a été commise à l’endroit de la narratrice et des suites de laquelle elle donnera naissance à un colibri. Hum est toutefois solidement ancré dans un présent. La scène du viol n’est jamais décrite, ce qui est franchement rafraîchissant. Ce qui prime dans le livre, c’est plutôt le processus qui découle de l’événement. La protagoniste a droit à l’évolution et au recul, aux joies comme aux échecs. Beaucoup trop de productions culturelles, du film au roman en passant par la télésérie, ne s’affairent qu’à montrer la violence de l’agression sexuelle, négligeant l’autre violence, celle qui n’est pas seulement ancrée dans l’acte lui-même; celle de l’après, celle qui paraît banale. On donne trop souvent dans le sensationnalisme, alors que ce qui transparaît dans Hum, ce sont les plus petits détails du quotidien qui se perpétuent et qui ont un impact majeur. Je pense entre autres à la banalité du « Girl, what, he’s such a nice guy. » (p. 25). La banalité des autres, surtout des hommes, et de leurs opinions: « The boys at work say things like: Well, if they didn’t get so drunk. Well, if they didn’t dress that way. I mean, how can they complain when they’re basically asking for it. This faceless, nameless They that’s so easy to blame. » (p. 37). La banalité de celui qui ne sait même pas, ou ne veut pas savoir ce qu’il a fait…
Or, la force de la plume de Natalia Hero ne réside pas seulement en cette capacité de montrer la violence insidieuse. La forme du texte et les effets de genre sont tout aussi importants. Construite par une succession de fragments (certains de plusieurs pages, d’autres ne faisant qu’une seule phrase), la novella parvient à montrer les mécanismes du traumatisme. En effet, la forme fragmentaire permet de reproduire les flashs, les trous de mémoire, les ellipses qui surviennent souvent après un tel événement. La forme s’allie au fond lorsque la narratrice tente de se souvenir de cette nuit-là:
« I stumble into the deep holes of my memory. They trap and hold me prisoner. I guess I dug them myself. And then in the room, and then on the bed. And I know I said No. I think I said No. I think I tried. I guess I tried, but I don’t know. I know that I wanted to say No. But I don’t think there was a question to answer No to. » (p. 12).
De même, le réalisme magique, introduit par la présence de cet oiseau né de l’agression, semble être l’élément parfait pour que se matérialise le traumatisme. En ajoutant ce personnage avec lequel la narratrice doit interagir, Hero montre qu’une relation s’instaure avec la blessure, relation qui prend forme, entre autres, dans une magnifique scène sexuelle. Mais s’il y a parfois réconciliation, il peut aussi y avoir un repli sur soi. En effet, la violence n’est pas seulement celle des autres, mais aussi celle que l’on s’inflige à soi-même parce que « [s]ometimes, we feel compelled to take out our rage on the part of us that came out of the experience. » (p. 65). Ce colibri qui suit le personnage partout, dont tous et toutes peuvent entendre le son du battement d’ailes, personnifie cette blessure qu’ils et elles se plaisent à ignorer, bien heureux·euse d’accepter rapidement les explications:
« I’m creative with my lies about the sound. A lawn mower. A weed whacker. We need to get the air conditioning fixed. I think it’s the fan from the bathroom. The fridge in the break room. Someone’s phone. Is there a fly in here? They complain. It drives them crazy. “Whatever it is, I’m sort of getting used to it,” my boss says. “But sometimes it makes me wanna throw something”. » (p. 55).
Si certain·es sont content·es d’éviter toute mention du colibri, Hero montre qu’il est possible de trouver une communauté. Ici, elle prend la forme d’un groupe de soutien se rassemblant autour d’un même vécu, mais elle est aussi présente dans l’amie Fe qui tente de son mieux d’épauler la narratrice. Hum énonce la nécessité de se raconter et de rassembler les histoires pour mieux continuer le combat. Même si parfois « [We] hate having nothing in common with them except Everything. » (p. 33).
Hum, Natalia Hero, Montréal, Metatron Press, 2018, 104 pages.
Article par Audrey Deveault.