Présentée au Théâtre Denise-Pelletier, la création La Maison met de l’avant des jeunes femmes en difficulté du centre d’hébergement Passages, ayant réadapté à leur manière le roman Océan mer d’Alessandro Baricco. Ce projet est mené par la metteure en scène et ex-étudiante à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, Michelle Parent.
Avant toute chose, comprenons que la démarche avouée de cette création en était une de parole. On voulait donner l’opportunité à ces jeunes femmes en difficulté de s’exprimer par le biais du théâtre en nous livrant leur interprétation de l’œuvre de Baricco, à la lumière de leur vécu bien particulier.
Cela dit, on ressort de la création avec une satiété partiellement assouvie. On aurait certainement voulu en entendre et en voir plus sur ces jeunes femmes. On ne peut empêcher un sentiment mi-figue mi-raisin de nous habiter lorsque les projecteurs s’éteignent.
Il est vrai, il faut en convenir, que l’idée en soi du projet était un exercice de style risqué. On s’inspirait d’un roman extrêmement riche et complexe, aux ramifications multiples, où il était facile d’emprunter des directions différentes. Il semble évident que la metteure en scène Michelle Parent, avec son bagage culturel et scolaire solide, désirait recréer l’émotion et la réflexion que la lecture de ce roman avaient suscitées en elle. Or, cela s’est parfois fait au détriment de l’interprétation des jeunes femmes, qui n’ont peut-être pas eu toute la place qu’elles auraient pu avoir dans le rendu final.
Ainsi, la symbolique était au rendez-vous dans La Maison, de même que les silences et les non-dits. Les entrées et les sorties répétitives des comédiennes, où bien souvent aucune parole n’était prononcée, laissaient une grande place à notre interprétation. Il semble que ces longs moments éloignaient La Maison de sa vocation originale. Rappelons que nous étions ici au sein d’une expérience très particulière avec des femmes n’étant pas toutes comédiennes. Le but premier était de les mettre de l’avant, avec leur vision. Il semble que l’on tentait parfois d’imposer une profondeur obligée à la pièce, alors que le roman de Baricco en lui-même est déjà énormément riche. La nécessité de ces procédés n’était pas souvent claire et enlevait du rythme à la production.
Heureusement, cela ne teintait pas la création en entier. Quand les jeunes femmes enfin s’exprimaient, on se retrouvait face à une situation terre à terre, du concret et plus d’authenticité aussi. Le vécu de ces femmes nous sautait alors en plein visage, sans fard, au moyen des dialogues et des personnages qu’elles s’étaient créés. Leurs paroles étaient remplies d’un humour lumineux et vivant, presque enfantin, témoin d’un instinct qu’on n’avait cette fois pas cherché à modifier. On se retrouvait face à un diamant brut. La mouette créée de leurs mains et dont elles imitaient le cri ou encore le lever du jour et de la nuit, symbolisé par des constructions en carton, ne sont que quelques exemples qui nous viennent en tête. Ces créations faisaient chaud au cœur et, sourire en coin, nous dévoilaient l’inventivité des jeunes femmes. Et que dire de leur capacité à traiter simplement des thèmes complexes de Baricco, comme la recherche des limites de toutes choses? On se sent investi de la quête d’une des femmes qui, après avoir étudié les limites du coucher de soleil et de la dépression, étudie maintenant celles de la mer.
Notons l’excellence de la vidéo illustrant les rêves et la mer. Ces magnifiques animations alliant aussi le collage laissaient notre cœur voguer au rythme des vagues. Les décors épurés, ajoutés aux éclairages efficaces et dosés, se doivent aussi d’être mentionnés.
Deux images se gravent dans notre mémoire. D’abord, il y a celle de toutes ces femmes qui fument pour « créer » du brouillard, doublé d’un éclairage en plongée. On aurait dit le tableau du Radeau de La Méduse. Magnifique.
Puis, il y a l’image finale, où les femmes contemplent la mer, sur le grand écran, dos au public. On ressent la nouvelle et éternelle union des femmes, alliées vers la même destinée. Une scène très simple et pourtant emplie d’une grande charge poétique.
« Ce sont les désirs qui vous sauvent », scande une des femmes de la pièce. Cette création est sans aucun doute le rendez-vous et le résultat de plusieurs désirs enchevêtrés. Ces désirs auront poussé ces femmes brisées, un peu plus haut, un peu plus loin, unies, vers un accomplissement dont elles ne peuvent être que fières.
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À voir, jusqu’au 12 novembre, à la Salle Fred-Barry du TDP.
Article par Félix Delage-Laurin.