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17-04-2025 Vol 19

L’impasse de la violence

On apprenait hier le décès de l’ancien felquiste Paul Rose. Aujourd’hui avait lieu la manifestation annuelle contre la brutalité policière à Montréal. Quel lien? À priori, il n’y en a aucun. Sauf qu’on se souviendra que c’est lors de la manifestation historique du 24 juin 1968 que Paul Rose avait fait la connaissance de Jacques Lanctôt, signant ainsi le début de ses activités au sein du FLQ. Une manifestation où la brutalité policière s’était déployée avec ferveur, pour ne pas dire avec rage, sous le regard et le sourire cyniques de Pierre Elliot Trudeau, qui était présent à la table d’honneur installée à l’occasion du défilé de la Saint-Jean Baptiste. Ne devait-il pas jubiler en effet? puisqu’il sentait certainement qu’il était en train de concrétiser une victoire écrasante aux élections du lendemain, démontrant au ROC en direct à la télévision de Radio-Canada qu’il avait le culot et l’arrogance nécessaires pour tenir tête aux «Frenchies», mais surtout à ces satanés indépendantistes.

Ce serait donc la répression, l’impossibilité de se faire entendre autrement, qui aurait transformé Paul Rose en terroriste. Il ne faut pas oublier l’épisode de la Maison du pêcheur, à Percé — qui sera d’ailleurs raconté dans un film d’Alain Chartrand prévu pour ce printemps. Les membres de la future cellule Chénier ont passé l’été 1969 à y accueillir de jeunes hippies provenant d’un peu partout, soulevant ainsi la méfiance et la grogne des commerçants du coin et du conseil municipal, qui ont tout tenté pour les faire déguerpir, allant même jusqu’à faire intervenir les pompiers pour «nettoyer» l’endroit.

Paul Rose
Paul Rose

Selon cette dynamique, c’est-à-dire la répression menant à la radicalisation, les multiples épisodes de brutalité policière que nous avons connus durant tout le printemps dernier, et encore aujourd’hui, seraient autant de petites graines de terroristes futurs semées à tout vent. Mais nous ne pouvons comparer les injustices dont étaient victimes les francophones du Québec à l’époque du FLQ avec ce que vivent les jeunes d’aujourd’hui, me direz-vous? Certes, notre peuple n’est plus dominé économiquement par les anglophones comme il le fut jadis, et on a cessé de nous dire «speak white» chez Eaton (quoique la bataille de la langue soit loin d’être gagnée). Du reste, on peut bien être en désaccord avec les revendications des manifestants en général, trouver par exemple que la gratuité scolaire n’est pas nécessairement souhaitable, pour toutes sortes de raisons. Cependant, n’y a-t-il pas lieu de se poser des questions sur la façon de réprimer ces voix qui tentent de se faire entendre dans la rue? Il y a certainement de bonnes raisons pour lesquelles le droit de manifester a été institué en droit fondamental.

Aujourd’hui, les forces de l’ordre sont intervenues dès les premières minutes de la manifestation pour disperser les manifestants. S’en est suivi de très nombreuses arrestations. J’imagine que, puisqu’il s’agissait d’une manifestation contre la brutalité policière et qu’à chaque année ça se termine sensiblement de la même manière, on a jugé que cette opération ne susciterait pas tellement d’indignation dans la population. Le 15 mars est effectivement considéré par plusieurs comme un gros party de casseurs qui se pointent au Centre-ville expressément pour se coltailler avec la police. En somme, bien que l’enjeu de la brutalité policière soit légitime, cette manifestation annuelle n’attire pas tellement la sympathie de la population et manque passablement de crédibilité.

Cela me ramène au FLQ et à l’enlèvement de Pierre Laporte. Il s’en trouve plusieurs pour affirmer que le FLQ a été plus nuisible au mouvement indépendantiste qu’il n’a pu y être utile. Victor-Lévy Beaulieu publiait ceci sur Facebook ce matin :

«On oublie trop aisément encore aujourd’hui qu’avant la Déclaration des mesures de guerre qui faisait du Québec un pays occupé, les Québécois manifestaient un appui très large aux jeunes felquistes. Les assemblées qui se tenaient au Centre Paul-Sauvé réunissaient de plus en plus de personnes, tellement en fait qu’il y en avait autant à l’extérieur de la salle que dedans. Je peux en témoigner parce que j’y étais. La mort de Pierre Laporte a fait basculer la donne. On trouva le corps du ministre dans le coffre d’une vieille voiture près de la base aérienne à Saint-Hubert.»

Tout allait bien pour le mouvement indépendantiste jusqu’à ce qu’on aille trop loin. Après la mort de Laporte, on devenait des bourreaux, ce qui ne concorde pas tellement avec notre identité québécoise. Aussi, comme plusieurs sans doute, VLB a « toujours pensé que l’indépendance du Québec pourrait se réaliser beaucoup plus facilement en adoptant la méthode de Gandhi par-devers ce que nous sommes comme peuple ». Et n’oublions pas que cet enlèvement était l’évènement parfait pour justifier les mesures de guerre et l’immense répression qui a été orchestrée par les gouvernements libéraux (provincial et fédéral) de l’époque (il y a eu plus de 500 arrestations et détentions indéterminées et sans motif). Une frousse pareille arrivait à point pour freiner les ferveurs souverainistes. Selon Jacques Ferron, Pierre Vallières et Louis Hamelin, notamment, il y avait un bon moment qu’on préparait l’intervention de l’armée, on était loin de l’improvisation qu’on a bien voulu laisser croire, et on aurait même laissé sacrifier Pierre Laporte au nom de l’unité nationale. À ce sujet, je vous suggère fortement de lire La constellation du lynx, de Louis Hamelin : son hypothèse est très convaincante.

Article par Dominic Auger – Chroniqueur pour l’Artichaut, Dominic Auger est également étudiant à la maîtrise en études littéraires. Il en est revenu d’étancher sa soif à coups de tempêtes désertiques, sa quête se portera mieux vers un devenir collectif.

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