Thursday

17-04-2025 Vol 19

Soyez artiste : allez en paix

Comment pousser quelqu’un à porter plainte à la Sûreté du Québec pour intimidation et justifier sa démarche?

Comment produire du matériel pornographique juvénile, le diffuser publiquement, et voir cette entreprise valorisée?

Comment mettre en ligne une scène de décapitation et de nécrophagie en toute légalité?

C’est simple, soyez artiste.

Anik

Au premier abord, la récente campagne de publicité d’Anik Jean, parait plutôt inoffensive. Je fais référence à l’envoi de lettres de menaces à des journalistes pour créer un buzz autour du lancement du nouvel album de la chanteuse. Invitée à justifier sa méthode promotionnelle sur LE plateau télé du dimanche soir, les propos d’Anik retiennent mon attention. Mise en contexte : l’animateur présente un extrait mettant en vedette un autre invité du dimanche, le comédien Yan England, saisissant un homme à la gorge, lui criant au visage, postillonnant au passage, bref, menaçant autrui. L’animateur souligne le succès notoire du comédien auprès des jeunes (le pouvoir de VRAK!) de même que sa participation à des téléséries destinées à un public adulte, comme en témoigne l’extrait. Il questionne alors ironiquement le comédien sur sa responsabilité comme exemple potentiel pour ses jeunes fans. C’est alors qu’Anik intervient pour nous faire part de sa propre conclusion :

« Y’a le droit, c’est de l’art! »

Entendre une réponse aussi simple à une question au potentiel éthique aussi complexe me rend jalouse. C’est à ce moment-là que je rêve d’être restée à Los Angeles (j’y étais de passage en 2011) pour vivre ma jeunesse et laisser les questionnements éthiques aux autres, à ceux que ça dérange.

Mais voilà, c’est moi que ça dérange. Parce que je ne crois pas que tout est permis du moment où ça se fait sous le couvert de l’art.

Admirable ou illégal?

Prenons l’exemple de l’œuvre du photographe Larry Clark, présenté en 2011 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Ses photographies de mineurs nus enlacés auraient été une attraction majeure de la programmation cette année-là. Dans son essai La Sexualité Spectacle, Michel Dorais questionne le statut des images de l’exposition : «Quand une photographie de sujets manifestement mineurs, nus et faisant l’amour, cesse t-elle d’être jugée (pédo)pornographique pour accéder au rang d’œuvre artistique, digne de l’admiration publique?»[1] L’art — mis en marché par notre société de consommation — semble effectivement avoir une propension à repousser les limites de l’acceptable socialement, et parfois même légalement.

La véracité et l’intention

imgresEn décembre passé, un Québécois surnommé le maquilleur de l’horreur faisait face à trois chefs d’accusation pour corruption de mœurs : production, possession et diffusion de matériel obscène sur Internet. Le jury l’acquitte. Une de ses avocates souligne à la presse : «Je pense qu’on a droit d’avoir une opinion en faveur ou en défaveur de la chose, mais ici, c’était un procès criminel»[2]. Distinction importante en effet… Mais outre les droits et les devoirs légaux du citoyen, l’artiste n’a-t-il pas d’autres responsabilités?

Le maquilleur de l’horreur avait été arrêté en 2009 pour ses mises en scène sordides. À peine trois ans plus tard, le parallèle entre les images portées à l’écran par ce dernier et celles discutées actuellement en cour dans le cas Magnotta soulève à mes yeux de nouvelles pistes de justification pour légitimer une entreprise artistique:

1- La véracité : Des images d’une violence profonde font art dès lors qu’il s’agit d’une mise en scène, donc d’une «fausse» situation.

Mais à qui revient l’autorité de distinguer le vrai du faux?

2- L’intention : L’intention artistique légitimerait les productions, peu importe leur contenu.

D’abord, il serait naïf de croire que l’artiste lui-même connaît le fin fond de son intention. Mais je m’engage ici dans un discours psychanalytique que je ne suis pas prête de maîtriser, alors j’arrête. Ensuite, c’est bien connu, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Et finalement, considérer l’intention comme critère, c’est s’en tenir à la subjectivité individuelle : impasse sociale assurée !

Nouveaux possibles

Je crois que l’art commande le désir de dépasser les limites, de bousculer les convenances et d’inventer de nouveaux possibles. Pour ce faire, la provocation m’apparaît avoir la cote depuis un certain temps dans notre société. Mais la légendaire formule violence & sexe provoque-t-elle encore quelqu’un? Personnellement, j’en suis lasse, agacée et, parfois, dans un élan de vigueur, exaspérée. Mais de toutes ces réactions, aucune ne m’intéresse, aucune ne crée une nouvelle expérience.  Et comme la provocation semble être LA nouvelle façon de faire, ne vaudrait-il pas mieux chercher d’autres avenues pour dépasser les limites et inventer de nouveaux possibles?

Partage

Chercher à faire réagir tient peut-être à l’impératif de partage, propre à l’humain exacerbé par l’art. Pour partager sa vision, l’artiste a besoin d’un public. Ce public agirait-il comme un moteur puissant poussant parfois à créer sans balises éthiques? Comme si le marketing d’un projet artistique ne saurait jamais être oublié, même lors de sa création?

Bref

C’est à croire que l’éthique professionnelle en art relève directement et entièrement de l’éthique personnelle du créateur. En ce sens, l’art échappe à la professionnalisation. Ce qui m’amène à vous demander : est-ce une profession que d’être artiste?


[1] Dorais, M. (2012). La sexualité spectacle. vlb éditeur : Montréal

[2] http://www.radio-canada.ca/regions/Montreal/2012/12/21/003-remy-couture-jury-deliberations-proces.shtml

Article par Jade Marquis – Ado émue par la culture pop des années 2000, Jade est devenue une intello de la danse. Au-delà du rouage des discours et des présentations dîtes artistiques, elle s’intéresse au contenu véhiculé.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM