C’était il n’y a pas si longtemps, avant que je perde mes mitaines et que la slush me monte aux chevilles. Plusieurs fois par semaine, dans l’autobus, sur le chemin de l’université, puis au retour, je pouvais admirer les milliers de petites lumières décorant une maison. Alors que la période des fêtes, dans ma vie à moi, concorde avec les vacances scolaires, cette maison aux décorations plus qu’abondantes bouffe durant des semaines interminables une bonne fraction de l’énergie hydroélectrique nationale. Dépenses exagérées pour un effet réussi : les voitures ralentissent à tout coup devant ces jeux de lumière éblouissants.
Ici, dans notre Belle Province, où la modération a souvent bien meilleur goût, ces écarts sont épisodiques et attirent toujours les regards des curieux et des plus conformistes. On s’arrête devant le terrain de camping où la roulotte saisonnière est camouflée parmi les flamands roses, les vire-vents et les statues de chiens. On sourit ou on rage devant monsieur muscle qui shoot des litres d’eau avec sa machine à pression pour repousser les feuilles de son stationnement à l’automne. Nos voisins les Américains ont davantage l’habitude de ces excès. Au Québec, du moins, c’est la principale caractéristique qu’on donne à ces êtres consommateurs typiques. «Think big sti!»
Le 22 février dernier, à la projection de Little Big Gun, documentaire de Simon Trépanier présenté par les Rendez-vous du cinéma québécois, les adeptes du septième art étaient beaux à voir pouffer de rire devant la famille Hartman, du Delaware. Costumés en militaires, avec quelques dents en moins, mais beaucoup de cœur, les trois membres de l’équipe Little Big Gun (mère, père, fils) passent à deux doigts de rafler la coupe du Punkin Chunkin avec leur canon à citrouille. L’année du tournage, les Hartman avaient dû réduire leurs portions alimentaires pour repousser les limites de leur hobby : le lancer de la citrouille par la bouche de leur canon rafistolé. Le secret, d’après le père Hartman, c’est que le projectile soit rond et doux comme un baby butt…
Sous les rayons du coucher de soleil, en pleine campagne, les karts de golf s’animent parmi les canons démesurément grands qui semblent toucher le ciel grâce aux plans en contre-plongée prédominants. Le public québécois sourit. Mais il rigolera lorsqu’il comprendra l’importance et la passion des Hartman et des autres familles tout aussi typiquement américaines, mais considérées excentriques dans cette salle de cinéma montréalaise. Les Québécois, devant la tradition du Delaware, ne peuvent que s’esclaffer. Simon Trépanier traite le sujet de façon objective, mais en choisissant de le présenter ici, il impose une prise de position qui tire vers la moquerie amicale de nos voisins du sud, pour qui «the sky is the limit». En visionnant les images de Little Big Gun, je ne pouvais m’empêcher de penser aux Hartman qui, au moment du tournage, où ils se livraient avec tant de générosité, ne pouvaient se douter du regard un peu hautain que le public d’ici allait poser sur leur réalité.
Mais au bout d’un moment, après avoir rigolé, on en revient de leur exubérance. On les trouve attachants, même si on ne pourrait jamais adhérer à leur mode de vie. Puis on se surprend à penser que ça pourrait être trippant de passer son été à espérer franchir un mille de plus avec nos citrouilles et nos engins. Et on se dit que Simon Trépanier nous a eus, que la réalité des Hartman a quelque chose de fascinant et de familier à la fois. On se prend à espérer avec eux que leur projectile dépassera les 2800 milles et quelques pieds (ce que Little Big Gun a atteint en 2008).
En plus de cet humble souhait, la mère rêve ardemment que son fils accède aux études supérieures. Phillip Hartman, 7 ans, louche malgré ses lunettes et rêve de faire l’armée, comme le lui proposent les recruteurs sur le terrain de compétition du Punkin Chunkin. Il aime ça, les guns. Il veut faire comme son grand frère qui, lui, n’a pas survécu à la guerre en Irak. Little Big Gun, c’est la réalité de la classe-moyenne, qui se bat pour ses acquis. La salle à manger des Hartman, où est placée la télévision, est vide alors que l’élection d’Obama passe à l’histoire : ils ne votent pas, insatisfaits des idéaux politiques de leur pays.
Quand on passe du préjugé à l’affection pour les Hartman, on peut se rendre compte de ce qu’on partage avec cette famille de la classe-moyenne du Delaware. Entre deux rires, on ne peut s’empêcher de penser que Little Big Gun est peut-être, finalement, un hommage à cette grossièreté américaine, dont on ne pourrait se passer, ne serait-ce que pour en rire un peu, ou économiser chez Costco. Peut-être aurai-je une pensée pour eux lorsque, la neige revenue, j’accrocherai quelques lumières à mon toit.
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Little Big Gun par Simon Trépanier
Les Rendez-vous du cinéma québécois présenté du 21 février au 3 mars.
Article par Catherine Paquette.